mardi 27 janvier 2009

Je déteste les gens - épisode 1

Tu marches dans un couloir au boulot, ravi de pouvoir te dégourdir les pattes et de te changer les idées après des heures de travail intensif, mais ô combien satisfaisant. Ton objectif: la cafétéria, où un thé gratuit (mais fade) t'attend pour te récompenser du travail accompli.

Tu pousses avec succès la première porte coupe-feu, puis la deuxième, tu salues aimablement des collègues arrivant en sens inverse, tu t'apprêtes à négocier le virage en évitant la foule sortant d'une conférence; tout se passe bien, tu es en confiance; tu souris, même; tu as la paix intérieure, sûr du bien-fondé de ta démarche. Tu passes le virage. Tu t'avances vers la porte coulissante automatique de la cafétéria et là, sans prévenir, sortant d'on ne sait où, ils apparaissent. Les boulets.

Le boulet est une personne d'apparence normale qui, inconsciemment néanmoins sournoisement, cherche à pourrir ta vie. Il est très difficile de distinguer un boulet d'un individu classique. Souvent, ce sont deux facettes d'une même personne. Parfois c'est toi. Mais quand c'est l'autre, c'est l'enfer. Instinctivement, ils te veut du mal. A toi. Et parfois aussi au reste du monde. Il n'a aucune considération pour la race humaine et a une propension naturelle à t'irriter par son mépris total du monde qui l'entoure. Le boulet est partout. Sur les autoroutes, dans la rue, au boulot, seul ou en meute.

Tu ne te doutes de rien quand le boulet s'apprête à accomplir son forfait. Et puis alors que tu penses enfin accéder au graal que représente la tasse de thé citronnée (en fait de l'eau chaude légèrement teintée avec une demi rondelle de citron dedans), avec tout le mépris qui le caractérise, le boulet s'arrête devant toi accompagné de comparses boulets. Non content de bloquer ta trajectoire parfaitement calculée, le petit troupeau de boulets se poste en plein milieu de l'entrée de la cafétéria, empêchant de passer simplement de l'extérieur à l'intérieur de la cafétéria. Au dernier moment, tu es contraint de recalculer une trajectoire, te permettant d'esquiver Boulet 1 et Boulet 2, le chariot à plateaux, la roulette dudit chariot à plateaux (qui sort légèrement du volume constitué par ledit chariot à plateaux et dans laquelle tu te prends quand même les pieds), la horde d'employés assoiffés d'eau chaude, Boulet 3 et la porte coulissante automatique, qui a bien entendu choisi le camp de la bande à Boulets.

Après avoir maudit les boulets qui continuent à te mépriser en poursuivant leur discussion probablement sans intérêt, tu reprends confiance et te félicites d'avoir surmonté cette épreuve. Tu penses que le plus dur est passé. C'est, hélas, sans compter sur la malfaisance de la coalition planétaire de la fourbe bouletitude. Après t'être servi ta tasse de thé insipide nonobstant gratuit, tu penses pouvoir la ramener sans embûche à ton bureau pour qu'elle t'accompagne quand tu reprendras ton travail harassant mais tellement gratifiant. Erreur! Un buffet est organisé - surement pour une section locale de l'internationale des boulets - et au lieu de rester à se goinfrer autour de la table, un petit groupe de boulets a choisi d'entamer une conversation (probablement aussi insipide que la tasse de thé que tu tiens en main) en plein dans le passage entre les tables. La vilénie du boulet frappe une nouvelle fois. Tu te confonds donc en sourires et en contorsions pour tenter d'échapper à l'emprise de la vile conspiration des boulets. D'autres ont eu moins de chance que toi; ils sont pris au piège entre plusieurs bancs de boulets qui se referment sur eux. Tu les regardes d'un air désolé, mais ils savent que tu n'y es pour rien, que tu sauves ta peau, et ils te pardonnent. Tu continues tant bien que mal ta progression vers la sortie de la cafétéria. Tu viens de contourner un dernier boulet, puis tu vois la lumière... encore faut-il que la porte coulissante veuille bien te laisser passer. Tu es prêt pour l'ultime affront. Tu approches. Vous vous jaugez. Puis, sans doute rendue humble par le respect que tu lui inspires suite à ta victoire sur les maudits boulets, la porte s'ouvre, laissant le champ libre à une sortie triomphale de la cafétéria.

Tu as vaincu cette fois, mais cette expérience a bien entendu entamé ton moral et ta confiance en l'être humain et si tu arbore un sourire en retournant au labeur - dur mais valorisant - au fond de toi tu sais que la fille du fond du couloir, que tu viens de croiser, est aussi un boulet en puissance. Tu ne laisses rien entrevoir, tu es fort, il vaut mieux qu'elle te croie ignorant de son potentiel; tu seras ainsi mieux à même de l'affronter le jour venu où sa bouletitude se manifestera.

Un jour je vous parlerai des pires boulets, les journalistes. On les appelles "Les boulets de Presse" (élevés en plein air).

2 commentaires:

lepeltier.chloe a dit…

Magistral, tout toi, love it! Surtout l'expression finale. Je parierais même qu'ils viennent de Berk en Brousse, les boulets de Presse...

le Kay a dit…

"et si tu arbore", ça fait une faute, mon pote. Je m'apprêtais à ne pas la faire remarquer, puis j'ai lu la note du 25.01... Quoi qu'il en soit, je me marre à chaque billet et continue d'admirer sans retenue ta belle énergie et tes capacités incontestables de rédaction !