lundi 18 mai 2009

J'adore qu'une journée de voyage se déroule sans accrocs

Jour 1: Ornex, France – Halifax, Nouvelle-Ecosse, Canada
Kilomètres parcourus: 7000

Pourquoi partir loin quand on peut être émerveillé juste à côté de chez soi? Dans le train qui m'emmenait ce matin de Genève à Lyon, c'est la réflexion que je me suis faite en admirant défiler le paysage. Ce trajet, cependant, je l'ai fait des dizaines de fois, or aujourd'hui j'ai eu l'impression de découvrir un tout autre itinéraire. La majeure partie de la ligne entre Genève et Lyon longe le Rhône, et à 6h ce matin de printemps une brume épaisse recouvrait le fleuve et ses berges, créant une atmosphère un peu mystique. On a l'impression de surprendre la nature, qui était paisible jusqu'au passage tonitruant du train. Il n'y a qu'à cette heure qu'on peut voir des biches pétrifiées regardant d'air effaré (mais on dirait que les biches ont toujours un air effaré) défiler cette grosse bête taguée qui s'engouffre à vive allure dans leur forêt. A proximité du Fort l'Ecluse, la voie ferrée longe pendant quelques secondes un défilé surplombant le Rhône. Avec la brume qui tapissait le fond du canyon, je me suis cru pendant ces quelques secondes dans un de ces reportages sur les trains qui traversent des paysages improbables dans des pays exotiques.

J'ai bien failli pourtant ne jamais connaître cet émerveillement, ni d'ailleurs ceux qui, je l'espère, vont suivre. J'avais en effet réservé un taxi pour 5h30 afin d'être avant 5h58 à la gare. Le samedi, les bus ne circulent pas si tôt près de chez moi et comme je ne voulais pas trop être un boulet pour mes amis qui ne dorment déjà pas beaucoup pour diverses raisons, je me suis résolu à consacrer 40 € pour faire la dizaine de kilomètres qui me séparent de la gare Cornavin. J'admets que je ne suis pas descendu à 5h30 pile et que j'avais oublié de dire au chauffeur où m'attendre exactement. C'est la raison pour laquelle le taxi n'était pas là quand je suis descendu à 5h35. Il est arrivé peu de temps après et je ne me suis pas inquiété. Il m'a quand même fait remarqué qu'il avait essayé de me joindre et que mon téléphone était éteint, parce qu'il ne savait pas à quelle résidence exactement il fallait m'attendre. Bon. J'ai reconnu mon erreur et on est partis. Au moment où il aurait dû aller tout droit pour prendre le chemin le plus direct vers la gare, mon taxi tourne vers l'aéroport et au moment où je me dis, bon, il connaît son métier, c'est sûrement plus rapide par là à cette heure là, il me tire brutalement de mes réflexions en s'écriant: « Ah merde ! Pourquoi je suis passé par là moi ? C'est l'habitude. Normalement je ne fais presque que des courses pour l'aérooport. » Je ne m'inquiète pas outre mesure, pensant qu'on a le temps, et là, sur son tableau de bord, je vois 5h45. Oh misère! Moins d'un quart d'heure pour traverser la moitié de la ville. C'aurait été sans problème si l'itinéraire que nous avons emprunté n'était pas la rue contenant le plus de feux rouges de la ville. A 5h48, je lâche un discret « ouh là là, j'ai mon train dans dix minutes ». L'autre observe quelques secondes de silence avant de me regarder dans son rétro et me dire: « Ah ben moi j'étais là à 5h30 pile ». Oui bon, d'accord, on est parti avec cinq minutes de retard, cela dit, si môssieur ne s'était pas gouré de chemin, on y serait peut-être déjà, à la gare. Pour ne rien arranger, je suis tombé sur un champion qui n'a pas encore équipé sa voiture avec les attributs visibles du taxi, si bien qu'on ne pouvait pas prendre les voies réservées qui nous auraient permis de gagner du temps. Si l'on ajoute à cela que derrière ce brave homme aux apparences quelconques se cache un psychopathe, vous comprendrez que l'angoisse a commencé à monter. En effet, près de Balexert, un taxi – un vrai, lui – a voulu se rabattre devant lui, un peu près, il est vrai. Mon Philippe (son entreprise s'appelle Philippe Taxi, j'en déduis que mon chauffeur s'appelle Philippe) refuse de se laisser faire et le dépasse à quelques centimètres en mordant allègrement sur la double ligne blanche. Pas un comportement d'usager de la route sensé. S'ensuit un échange d'insultes au feu rouge, puis notre ennemi désormais commun s'enfuit en empruntant sa voie réservée, le chanceux. Philippe conclut par un « Qu'est-ce qu'ils sont cons ces taxis ! », que j'ai approuvé par un éclat de rire contenu (quoi que ce soit). A 5h53, à quatre ou cinq feux rouges de la gare, je commence à m'agiter pour de vrai et je lance: « Ouh putain, j'ai peur de m'le chier là, et si je le rate je suis dans la merde », dis-je, à peine vulgairement. Philippe a réagi en appuyant un peu plus sur le champignon, ce qui m'a un peu rassuré – je l'ai pris comme un signe de bonne volonté de sa part – mais qui n'a eu aucun effet concret puisque, je le rappelle, les feux étaient souvent au rouge et mon « taxi » ne pouvait pas emprunter les voies réservées. Il a quand même sorti son terminal de cartes bleues et j'ai payé avant d'arriver, ce qui nous a fait gagner la minute fatale. On arrive enfin, juste à côté de ma voie, il me donne mes sacs, me serre la main, et moi je cours, j'arrive dans la gare, je regarde l'heure: 5h56 - ouf, je traverse la douane, où il n'y avait personne, monte les marches pour aller sur la voie et là, le chef de train me demande: « Vous allez à Lyon? ». Je réponds que oui, et il me dit: « Alors montez vite là parce que le train part ». Ok. Et à peine étais-je entré que le chef de train siffla, la porte se referma et le train se mit en branle.

J'ai mis quelques instants à m'en remettre, en essayant de voir ce que j'aurais fait si j'avais loupé ce train. Il n'y a pas d'autres correspondances me permettant d'arriver à l'aéroport Charles-de-Gaulle à l'heure, donc je ne serai sûrement pas parti au Canada. J'aurais eu toutes les peines du monde pour me faire rembourser mon billet d'avion et j'aurais passé trois semaines de vacances à Ornex. Mais pour le moment, le plan se déroule « sans accrocs », et j'adore ça (notez la référence culturelle).

Si le trajet pour aller à Lyon était plaisant, l'arrivée à Part-Dieu était beaucoup moins glamour. A la sortie de mon wagon, trois jeunes se faisaient contrôler par la police locale et recevaient une amende pour défaut de titre de transport. Sur le parvis de la gare, devant mes yeux, un jeune s'est fait attraper par trois policiers qui l'ont aussitôt emmené au poste, je ne sais pas pour quelle raison.

A 8h00, à Lyon, les alentours de la gare sont très calmes. Au centre commercial de la Part-Dieu, seul les fast-foods et les boulangeries sont ouvertes, si bien qu'on y voit une faune bien différente de celle qu'on voit en pleine journée, quand le centre est bondé. Là, des gens attendaient je ne sais quoi autour de la fontaine pas encore allumée, des marginaux errent dans les couloirs et les employés attendent le client.

Une journée interminable. Et toujours « sans accrocs »

A l'aéroport de Roissy, on a dû contrôler mon passeport au moins quatre fois: avant l'enregistrement des bagages, avant le contrôle de sécurité, avant l'embarquement et juste avant de rentrer dans l'avion. Et des queues se forment à chacune de ses étapes, ce qui allonge bien évidemment le temps nécessaire à l'embarquement. Je me suis rendu compte que, dans les aéroports en général, il n'y a pas de restaurant servant de nourriture un peu équilibrée.

En rentrant dans l'avion d'Air Canada pour Montréal, j'ai eu une pensée émue pour Kevin: les membres du personnel de bord avaient de bonnes têtes de Québecois (c'est un peu comme nous, mais en pas pareil), avec des coupes de cheveux dignes des personnages de la série « Le cœur a ses raisons », surtout un grand type, la bonne quarantaine, qui avait un brushing blond mieux que Jean-Pierre Foucaud. Il me faisait trop marrer.

Les six heures de vol sont passées relativement rapidement. Il y a presque dix ans que je n'avais pas pris un vol long courrier et j'ai pu profiter de l'évolution des technologies à bord des avions. Chaque place est en effet équipée d'un écran interactif proposant toutes sortes de divertissements, y compris une sélection importante de films. J'ai donc tué le temps en regardant « Entre les murs », que j'ai bien aimé, « Volt », qui m'a fait rire, et « Le liseur », qui a failli me faire chialer dis-donc. Avec tout ça, j'ai pas vraiment pris le temps de dormir, bien que je suis réveillé, je le rappelle, depuis 4 heures du mat (il est présentement 2h06 en France, donc je suis bientôt debout – terme discutable puisque j'ai été assis dans les transport 80% du temps – depuis 22h). Juste avant l'arrivée, l'avion a traversé une zone de turbulences et on a pu entendre un « boum » sur la carlingue, accompagné d'un flash. Il s'agissait, nous a-t-on expliqué, d'un éclair qui a frappé l'appareil, mais sans causer de dégats (c'est quand même un peu prévu pour). Puis l'hôtesse nous a inviter à féliciter un de ses collègues qui nous servait pour son départ à la retraite. Quelle bande de rigolos ces Québécois!

Pour un premier contact, c'était plutôt positif. En sortant de la zone internationale, les visages des gens qui attendent un ami ou un parent qui arrive de loin m'ont semblé très familier, et on n'est pas dépaysé car toute la signalisation est en français. Les gens s'adressent à vous en français ou en anglais, souvent les deux: « Bonjour/Hi! » ou « Monsieur/Sir! ». Juste avant le contrôle douanier, un type à l'allure de fan de Chuck Norris qui orientait les gens faisaient la queue m'a lancé un « Welnousatissintsouin? », ou quelque chose comme ça, que je n'a pas pu identifier comme de l'anglais ou du français. Je lui ai répondu que j'avais une correspondance pour Halifax et il m'a invité à partir à gauche. J'ai répondu juste cette fois, mais je sens que je n'aurai pas toujours autant de chance.

Si j'ai trouvé que les temps d'attente pour les différents contrôles étaient longs à Paris, ce n'était rien à côté de Montréal. Ils sont super stressés de la sécurité, on fait des queues vraiment longues pour tout, les bagages ne sont pas transférés directement dans la correspondance et tous les agents portent des gants pour ne pas chopper la grippe porcine, la grippe aviaire, la grippe espagnole ou la grippe du castor volant de Gaspésie. Au moins c'est efficace: avec toute cette sécurité, on est sûr que personne ne monte dans les avions. Ma correspondance pour Halifax était partie depuis à peine dix minutes quand je me suis présenté à la porte d'embarquement.

Je me suis donc présenté à un comptoir d'information, où une gentille dame m'a mis dans le vol suivant pour Halifax, sans problème. J'avais deux heures pour me présenter à ma nouvelle « barrière » (comprendre « porte d'embarquement »), que je pensais mettre à profit pour retirer de l'argent, récupérer le numéro d'Elisa – qui devait aller me chercher à l'aéroport – sur Internet, et manger (mon projet de manger du homard à Halifax étant tombé à l'eau). Le distributeur de billets le plus proche a refusé de me donner quoi que ce soit, pour une raison que je ne m'explique pas. Ensuite, la borne Internet n'a pas voulu non plus accepter ma carte de crédit. Hmmm. Pas dans la merde, moi. J'ai dû ressortir de la zone sécurisée pour aller dans le hall principal de l'aérogare, que j'ai arpenté en long, en large et en travers. Le deuxième distributeur de billets s'est également montré radicalement pas coopératif et là j'ai commencé à flipper. Et si aucun distributeur ne voulait me donner d'argent ? Et si je ne peux pas prévenir Elisa ? Pff, allez, on continue. Au troisième distributeur, quatre personnes attendaient, mais je ne m'en suis pas réjoui pour autant, vu que c'était le premier distributeur en sortant de la zone sous douane. A côté il y avait un bureau de change et je me disais en attendant que je pourrais toujours y faire changer les 30 francs suisses et les 20 euros qu'il me reste dans le porte-monnaie. Je n'irais pas bien loin avec ça mais ça me permettrait d'appeler Elisa et de manger, au moins. Toujours est-il que le distributeur n'a pas fait autant la fine bouche que les deux précédents et m'a donné de quoi survivre un moment. Ensuite j'ai cherché un endroit pour me connecter à Internet, malheureusement, le réseau wi-fi de l'aéroport de Montréal, tout comme celui de Paris, est payant. Je suis donc retourné à une borne Internet pour tenter de récupérer le numéro d'Elisa (j'ai fait l'erreur de ne pas le noter avant mon départ), mais même problème, la machine ne voulait pas de ma carte. Il a fallu que je m'achète un sandwich chez Subway (ou plutôt un « sous-marin », pas terrible, comme tout ce que j'ai mangé chez Subway ces derniers temps – je crois que c'est le désamour officiel...) pour avoir de la monnaie à mettre dans la borne Internet. Pfff. Je commence par repasser les formalités de sécurité pour me rapprocher de mon secteur d'embarquement pendant qu'il n'y avait pas trop de queue, puis je me suis connecté à l'Internet le plus lent du monde, que même dans les années 90 on en faisait pas des comme ça. Il m'a fallu 10 minutes de chargements divers pour arriver à la page désirée. J'ai cru que les clients du bar d'à côté allaient me voir exploser le machin à coups de tête.

Finalement, j'ai noté tous les numéros dont j'avais besoin et j'ai utilisé un téléphone public pour appeler Elisa, une opération qui s'est déroulée – pour une fois – sans trop de problèmes. Du coup j'étais vraiment content de parler à Elisa, qui venait d'arriver à l'aéroport d'Halifax. Il ne restait plus qu'à attendre de pouvoir monter dans l'avion en mangeant mon « sous-marin » et à aller à Halifax.

Il pleuvait des cordes à Montréal, mais ce n'était guère mieux à Halifax. Un brouillard à couper au couteau qui avait fait penser à Elisa que l'avion serait contraint d'atterrir à Moncton, où elle habite. Mais l'atterrissage s'est déroulé comme prévu sans encombres et Elisa m'attendait à la sortie du terminal. Ce qui est étonnant, c'est que la zone de récupération des bagages est accessible aux gens de l'extérieur, j'ai donc été surpris de voir Elisa à côté des tapis roulants.

Une fois mon sac récupéré, nous sommes sortis de l'aéroport pour retourner à sa voiture et j'ai été frappé par l'humidité ambiante. Un vrai temps anglais, me suis-je exclamé. « Ecossais », m'a corrigé Elisa, « puisqu'on est en Nouvelle-Ecosse. » Bonne remarque. Cela faisait six heures que j'étais au Canada, et je n'avais toujours pas vu le monde à l'extérieur d'un aéroport; j'ai donc grandement apprécié le trajet d'une demie-heure jusqu'à notre guest house au centre d'Halifax, même s'il faisait nuit, qu'il y avait du brouillard et qu'il n'y avait quasiment rien à voir, à part quelques zones commerciales, les panneaux indicateurs et un animal écrasé sur la route. Le centre de la ville a l'air d'avoir un certain charme et j'ai hâte de le découvrir demain, bien qu'il y ait de fortes chances qu'il pleuve. Quant à notre hébergement pour cette nuit, dans une jolie maison de bois, elle nous fait un peu replonger quelques dizaines d'années en arrière, avec ses draps verts et blancs, ses couvertures à fleurs, son lustre vintage, sa salle d'eau à l'extérieur de la chambre, ses petit frous-frous aux fenêtres, ses fleurs en plastique au-dessus du miroir de la commode. Charmant!

Bref, je suis quand même arrivé à Halifax, et ce n'est que le début du périple. J'adore quand une journée de voyage se déroule sans accrocs!

1 commentaire:

Elisa a dit…

Pfff, je te jure, dans ma tête, je faisais déjà des plans au cas où tu arrives à Moncton... Satané brouillard !!!