jeudi 4 août 2011

20 juillet 2011 : Moscou

(Re)découvertes

Dernier couché (voir ci-dessus), j'ai été étonnamment le premier levé. Avec toutes ces émotions et sollicitations, mon cerveau n'a jamais vraiment réussi à s'éteindre. Ce que j'ai bien sûr payé une bonne partie de la journée. Si on n'était pas venu chercher les filles dans leur chambre, elles seraient encore en pyjama à discuter. Elles ont pas l'air de se rendre compte que j'ai du tourisme intensif à faire, moi !

Premier point au programme de la journée : récupérer les billets de train Moscou-Kazan et Kazan-Ekaterinbourg à l'agence de voyage avec laquelle Kevin a traité. Comme il travaille souvent avec eux, il voulait y aller en personne et offrir à son contact Irina une bouteille de vin. Le problème, c'est qu'il y a eu confusion entre le nom de la rue où nous devions aller et la station de métro où il fallait descendre. Nous avons pris le métro jusqu'à la station Komsomolskaya, où nous avons cherché en vain la Perspective Komsomolskiy. Un type qui nous entendait parler français est venu nous adresser la parole. Franchement, je ne pensais pas qu'on verrait encore de ça. Il y a aujourd'hui à Moscou beaucoup plus d'étrangers en voyage d'affaire où de tourisme qu'il y a quinze ans et je pensais que cela ne surprendrait plus grand monde d'entendre parler français ou anglais. Mais quelque part j'aime bien cette prise de contact de la part de la population. Toujours est-il que nous lui avons demandé où se trouvait ladite perspective et nous l'avons soupçonné de ne pas avoir eu le cœur de nous dire que nous n'étions pas du tout au bon endroit. Le temps qu'on achète un peu d'eau dans la gare de Leningrad pour parer à la déshydratation due à l'implacable rayonnement solaire moscovite, Kevin a appelé Irina pour lui demander des indications. Il a reconnu humblement que nous étions de l'autre côté du centre-ville et qu'il fallait reprendre le métro pour plusieurs stations. A la station Park Kultury, encore fallait-il trouver la perspective tant recherchée et – ce qui ne fut pas chose facile – la bonne maison. Pendant quelques semaines fin 2001, j'ai habité ce quartier, mais je ne reconnaissais rien et je n'aurais pas pu retrouver ni le foyer, ni l'université où j'étudiais alors. Peut-être si j'avais eu un peu plus de temps pour chercher, j'aurais trouvé, mais il fallait vite récupérer les billets pour ensuite reprendre le métro, car nous avions rendez-vous avec Nina, la tante d'Aniouta, et sa famille pour manger. Nous avons eu le plus grand mal à trouver l'agence de voyage. Kevin a passé de nombreux coups de fil et il a rencontré son Irina en coup de vent pendant que j'attendais avec les filles. Nous sommes retournés aussi vite que possible au métro (les filles marchent très lentement), direction la station Dinamo.

Malgré toutes nos mésaventures, nous ne sommes arrivés qu'avec cinq minutes de retard environ, et encore, nous avons attendu, car Nina n'était pas au même endroit que nous. Le père d'Aniouta nous attendait à côté de sa voiture. Nous nous sommes chaleureusement présentés (j'avais déjà rencontré Nina au mariage d'Aniouta) puis il nous a emmenés deux stations plus loin vers le nord, pour manger dans un restaurant arménien sur la perspective de Leningrad. Le cadre était légèrement kitsch mais confortable et sympathique, et l'ambiance avec la famille très sympa. Le père et la tante étaient très aimables, faisaient la conversation, et on voyait qu'ils étaient heureux de revoir Aniouta. Nous avons commandé à manger des shashlyky – des brochettes de différentes viandes – et des légumes frais à manger en entrée, avec plein d'herbes. Nous n'avions rien mangé de la journée et nous avions très faim ; de plus, nous avions tous envie de quelque chose de frais et naturel, alors les petits concombres, tomates et poivrons étaient fort bienvenus. Et c'était très bon enroulé dans de la galette avec un peu de fromage. Le frère et la sœur d'Aniouta sont arrivés – Sasha et Anya – mais ils sont restés plus discrets. Nous avons passé une super après-midi en très bonne compagnie avec de la bonne bouffe. Nous avions évidemment trop mangé, mais nous avons pu emporter le reste de grillades dans des doggy bags.

Là, le groupe s'est scindé. Kevin avait la possibilité d'obtenir par son chef des billets pour une pièce de théâtre et Aniouta voulait y aller. Comme ça n'aurait eu aucun intérêt pour Laure, qui ne parle pas russe, je me suis sacrifié et ait renoncé à la sortie culturelle pour promener Laure. L'un de mes projets pendant ce séjour à Moscou, c'était de revoir mon ancien quartier, à Khovrino, et comme le restaurant était très près, le père d'Aniouta nous a déposés à la station Rechnoy Vokzal et j'ai repris les itinéraires que je suivais il y a dix ans. Nous avons fait un tour sur le petit marché à la sortie de la station de métro. Le quartier a beaucoup plu à Laure, qui a apprécié le dynamisme et l'authenticité des lieux, loin des centres touristiques. Nous lui avons acheté une carte pour téléphoner dans l'autre Europe puis nous avons longé la rue Festivalnaya, puis la Smolnaya, le long des parcs boisés auprès des immeubles, jusqu'à mon ancienne université. C'est vrai que le quartier est agréable, avec tous ces arbres, l'espace entre les immeubles et l'ombre. L'université a bien changé – déjà de nom, déjà à mon époque il ne s'appelait plus Institut du commerce soviétique (nom le plus évocateur pour une certaine génération), mais Université d'Etat de commerce de Moscou (MGUK), et depuis quelques années, elle s'appelle Université d'Etat de commerce et d'économie de Russie – mais surtout, d'un vieux bâtiment austère et soviétique, l'université est devenue un immeuble moderne et propre, même à l'intérieur. J'ai demandé à un garde si le responsable des relations extérieures Vassiliy Dmitrievitch Badouline travaillait toujours là et il m'a dit que oui, mais je ne voulais pas aller le voir et m'engager pour plusieurs heures dans une conversation, avec Laure à côté. D'autant plus qu'il était sûrement en vacances à cette période de l'année.

Nous avons poursuivi jusqu'au foyer, qui n'a, lui, absolument pas changé, puis nous sommes allés en direction de la rue Petrozavodskaya pour voir le quartier où j'habitais auparavant. Mon ancien coloc Sylvain m'avait déjà informé qu'il avait beaucoup changé, mais je ne m'attendais pas à reconnaître aussi peu de choses. A mesure qu'on avançait vers mon ancien quartier, je me prenais à douter que nous étions sur la bonne route, mais j'ai quand même reconnu la petite place, même si le marché Petrashka avait disparu et été remplacé par un centre commercial en dur, juste à côté de l'ancien supermarché. J'ai même eu du mal à retrouver ma maison, mais quand je l'ai vue, je l'ai tout de suite reconnue. Elle n'avait pas changé du tout. Il y avait même quelqu'un à la fenêtre de ma chambre. Une petite fille à qui j'ai fait coucou.

Ceci fait, nous sommes allés dans le supermarché climatisé nous rafraîchir un peu et acheter de l'eau. Nous voulions acheter à boire dans un kiosque, mais un petit jeune qui vendait des bières à côté nous a dit d'aller plutôt au supermarché parce que ce serait moins cher. Comme j'expliquais ça en français à Laure, il a demandé d'où nous venions et il était étonné de voir des étrangers aussi loin de la place Rouge. Le magasin a aussi plu à Laure – c'est vrai que c'est intéressant, les supermarchés à l'étranger – avec tous ces produits originaux. Le supermarché est devenu un vrai magasin à l'occidentale, la disposition des rayons a beaucoup changé et il y a beaucoup plus de produits qu'avant.

D'ailleurs, depuis que je suis ici, je ne peux pas m'empêcher de me dire que, si la ville a, en somme, assez peu changé, et les gens pas tellement non plus, le commerce, lui a connu une révolution conceptuelle. Avant, le service était encore à la soviétique, sans fioritures, sans effort commercial. Aujourd'hui, on a droit aux salutations, aux remerciements et parfois même au sourire, ce qui aurait été pris pour une offense à l'époque, probablement. Les serveurs et serveuses sont plus aimables, espérant sans doute un petit pourboire. Finalement c'est aussi une autre génération qui arrive sur le marché du travail, maintenant, une génération qui n'a absolument jamais connu la période soviétique, née après 1991, à l'instar d'Anya, la sœur d'Aniouta. En bon occidental, dans les premières heures où j'étais ici, il m'a semblé normal que les gens disent merci et au revoir, mais je sentais que quelque chose clochait. Et puis en rentrant dans un petit café Kroshka Kartoshka pour demander un renseignement, l'employée de la vieille génération qui attendait le client patiemment assise derrière le comptoir m'a rappelé par son attitude passive-agressive ce que c'était qu'un magasin en Russie ne serait-ce qu'il y a dix ans. J'avais l'air de l'ennuyer sérieusement avec mes questions. Et quelque part, ça m'a rassuré de voir qu'il y avait des choses qui restaient par rapport à mon précédent séjour dans ce pays.

D'autres comportements ont changé. Le plus manifeste, c'est le comportement des automobilistes. Avant, ils devaient avoir un système de points au nombre de piétons renversés, avec un bonus si on les chopait dans des endroits plus insolites, comme un trottoir. Le système a été aboli en même temps qu'une campagne de sensibilisation a été mise en place par les autorités et, désormais, les grosses berlines allemandes comme les vieux tacots soviétiques s'arrêtent avant les passages piétons pour laisser passer en toute sécurité les gens qui ont trouvé une place de parking (et donc à pied). J'ai du mal à m'en remettre, mais c'est un progrès appréciable, il faut le reconnaître.

Il nous restait du temps avec Laure avant qu'Aniouta et Kevin sortent du théâtre, alors nous avons décidé de reprendre le métro et d'aller à l'autre bout de la ville voir la grande université de Moscou (MGU). Nous avons acheté des billets pour prendre le bus 290 jusqu'au métro, puis nous avons traversé toute la ville et, bercée par le roulis de la rame, Laure s'est assoupie. Nous sommes descendus à la station Vorobiovy Gory – la colline aux moineaux. Il y a quelques années, cette station n'était pas ouverte. Le train passait sur un pont, caché par une palissade de tôle. On voyait juste qu'on était à l'extérieur grâce aux rais de lumière qui perçaient à travers les ouvertures dans la tôle. La station se trouve sous un pont routier enjambant la Moscova et de grandes baies vitrées donnent beaucoup de lumière et offrent une vue imprenable sur la rivière. On sort de la station sur une rive ou sur l'autre. De l'intérieur, on voyait qu'une grosse averse tombait et on voyait des gens rentrer dans la station complètement trempés. Nous sommes quand même sortis, jugeant que le gros de l'averse était probablement passé. La sortie se trouvait encore sous le pont, donc nous étions encore protégés de la pluie. Les gens se pressaient, détrempés, vers le métro. Nous nous sommes aventurés dans les bois pour remonter sur la colline ; il ne pleuvait plus mais nous recevions quelques gouttes restées accrochées aux arbres. La ville a très bien aménagé ce bois, avec un chemin en caillebotis, des tonnelles sous lesquelles s'abritaient encore des groupes de gens, de petits étangs, des explications sur la flore et la faune locale, des poubelles de recyclage. Un truc vraiment étonnant pour qui a connu la Russie avant. Après avoir gravi de nombreuses marches, nous sommes enfin arrivés sur la promenade surplombant la rivière. Laure a pu se soulager dans des toilettes en plastique absolument infâmes et, ceci fait, nous avons pu continuer jusqu'à la terrasse d'où l'on peut admirer le centre de Moscou.

Le soleil était sur le déclin et la lumière était magnifique. On voyait bien sûr au premier plan le grand stade olympique, et plus loin la massive cathédrale du Christ-Sauveur, quelques-uns des gratte-ciels staliniens (dont le plus près se trouvait juste derrière nous, l'université de Moscou). La vue n'avait pour le coup pas trop changé. En revanche, sur la gauche, on pouvait voir d'autres gratte-ciels, pas staliniens : ceux de la cité d'affaire Moskva-City, qui semblaient vraiment impressionnants, très hauts. Après avoir admiré la vue et regardé un peu les articles à touristes sur les stands déployés sur la terrasse, nous nous sommes dirigés vers l'immense, impressionnant, majestueux et propre bâtiment de l'Université de Moscou (MGU).

Kevin et Aniouta étaient sortis du théâtre et nous l'ont fait savoir par téléphone. Nous leur avons donné rendez-vous au bar de la veille sur la place de la Révolution mais nous avons quand même fini notre tour de l'Université par une traversée négociée avec brio (par moi, évidemment) du hall de la MGU. Une jeune gardienne nous a bien sûr demandé de montrer patte blanche et cartes d'étudiant, mais nous n'étions bien entendu pas en mesure de prouver que nous étions des étudiants locaux. Je lui ai quand même dit avec un sourire que nous avions été étudiants et elle a accepté de regarder nos papiers d'identité. Ceci fait, elle nous a gracieusement laissé passer, à condition de rester discrets et de ne pas monter dans les étages. L'intérieur n'est pas aussi grandiose que l'extérieur, mais au moins j'ai eu le plaisir d'obtenir ce que je voulais par la négociation. Nous avons encore marché un quart d'heure jusqu'au métro, puis nous sommes retournés dans le centre retrouver nos deux compagnons.

Nous nous sommes réhydratés un peu jusqu'à ce que la sœur d'Aniouta arrive, nous sommes restés là à discuter pendant encore un moment, puis nous sommes allés chercher un endroit pour manger et fumer le narguilé. Anya ne connaissait pas d'endroit précis et elle a appelé un de ses amis pour se faire conseiller. Nous sommes remontés vers la Lubianka, sommes rentrés dans quelques lieux pas très accueillants, puis nous avons fini dans un bar américain à côté d'une tablée de jeunes éméchés et très bruyants. Le repas n'était pas très original, mais pas mauvais, et il n'y avait pas de chicha. Aniouta ne renonçant pas à son envie de fumer, nous sommes repartis en quête d'un autre bar, sur les conseils de l'ami d'Anya au bout du fil. Il semble que la sœur d'Aniouta n'a pas vraiment le sens de l'orientation, car nous devions aller sur la Bol'shaya Lubianka, mais nous sommes repartis vers la place Rouge. J'ai tenté de faire la remarque, mais après tout, c'est pas moi le Moscovite (n'empêche que j'avais raison). Du coup, on a pu revoir la Belle place, ce qui n'était pas pour me déplaire. Ce qui est idiot, c'est que nous avons attrapé une voiture pour nous ramener presque au même endroit d'où nous étions partis. Le bar était plutôt sympa, nous avons pris des cocktails jusqu'à quatre heures du matin, mais pour une raison obscure, ils ne servaient pas de chichas ce soir-là, ce qui ne nous a pas empêché de passer une excellente et joyeuse soirée. Pour avoir quelque chose à fumer, je me suis quand même offert un cigare. J'aurais pu m'en passer. Il était plus de trois heures quand nous nous sommes décidés à partir. Anya a une nouvelle fois appelé son pote au téléphone, qui est venu nous chercher, nous a ramenés et a ramené ensuite Anya à l'autre bout de la ville. Un gars sympa, taciturne, un peu endormi, et surtout très amoureux d'Anya, semble-t-il.

Il était bien tard quand nous sommes arrivés à l'hôtel et il était hors de question que je repasse deux heures à raconter ma vie pour me coucher au point du jour. C'est là que j'ai pris un retard majeur dans la rédaction de mon journal de voyage. Je vais probablement devoir en modifier la structure.