4e jour - Mexico
Mardi
12 février
La journée à été longue et très riche. J'ai été servi en
culture, en nourriture, en relations sociales et en stéréotypes. Et
ça y est, je crois que je commence à m'adapter à l'heure
mexicaine: ce matin, pas envie de me lever et ce soir, pas envie de
me coucher. Comme à la maison. N'empêche que nous sommes partis un
peu plus tôt ce matin. Ayant eu quasiment la réaction de Coluche
quand il se voit dans le miroir dans «Banzaï» en découvrant mon visage rougi par le soleil, j'ai décidé
de ne pas me laisser insolationner aujourd'hui grâce à un ingénieux
stratagème de badigeonnage de crème solaire indice 50 et
d'hydratation intensive.
Karl voulait m'emmener à Coyoacán mais je lui ai, l'air de rien,
rappelé qu'il voulait me montrer le palais présidentiel que nous
n'avions pas pu visiter hier pour cause de fermeture le lundi. «Ah
oui, ben allons-y», qu'il a dit. Alors nous y sommes allés et j'ai
vu ce très beau palais, l'un des premiers édifices construits par
les Espagnols, avec les pierres des temples aztèques. J'ai beaucoup
aimé les nombreuses arches qui entourent la cour centrale sur trois
étages et Karl m'a décrit les immenses peintures murales de Diego
Riviera dans la cage d'escalier, qui représentent toute l'histoire
du Mexique, des civilisations pré-hispaniques au début du 20e
siècle, avec de fortes connotations de gauche (normal, son pote
c'était quand même Trotsky, donc bon). Nous avons vite fait le tour
de la cour, puis du jardin, car mon cousin ne se contente pas de
maîtriser toute l'histoire du Mexique, de ses personnalités et de
leurs familles en Europe, il en connaît un rayon sur la faune et la
flore locale. Dans le jardin présidentiel, j'ai, grâce à lui,
appris tout un tas de choses sur les cactus, leur longévité, leur
utilisation et leurs surnoms.
Nous sommes ressortis du palais par une rue que j'avais empruntée la
veille lors de ma deuxième excursion vespérale au Zocalo. Elle
était beaucoup plus jolie là maintenant avec un peu plus de soleil,
en particulier la maison qu'on voit en sortant du palais, qui est
très jolie mais qui présente un caractéristique bien particulière,
celle d'avoir du monde au balcon. Et quel monde! à chaque balcon se
dresse la représentation d'un squelette habillé de belles toilettes
du 19e siècle. Si j'ai bien compris, l'artiste voulait dénoncer une
certaine attitude de la bourgeoisie de l'époque et rappeler que tout
le monde est égal devant la mort. Dans cette rue, l'alignement des
immeubles dessine une vague, en raison de l'instabilité du sol
(rappelons que la ville a été construite sur un lac asséché
artificiellement et qu'elle se trouve en zone sismique), et on voit
bien parfois des immeubles qui se séparent de leur voisin ou des
façades d'église qui donnent l'impression de tomber en avant. Des
millions de pesos sont dépensés pour – sinon redresser – du
moins stabiliser les sols et veiller à ce que les bâtiments ne
s'effondrent pas sur leurs occupants.
Après notre visite éclair du palais présidentiel, nous avons
repris le métro vers le sud et Coyoacán – le lieu des coyotes, en
nahuatl (oui c'est une langue, et on la parle toujours) –, une
petite ville dans la ville, un quartier bohème aux belles demeures
(le méchant Cortes, le colon originel, y avait une maison) et aux
charmantes maisons plus populaires, un lieu prisé des habitants de
Mexico le week-end. J'ai beaucoup aimé ses rues calmes (le week-end
c'est différent, paraît-il) et ses maisons colorées, son marché
animé et la maison des artistes Frida Kahlo et Diego Riviera. C'est
à Coyoacán que le révolutionnaire russe Léon Trotsky s'est fait
assassiner. Je dois avouer mon inculture et admettre que si le nom me
disait quelque chose, j'ignorais quelle était l’œuvre de Frida
Kahlo. Dans sa maison – très belle, du reste, une maison
d'artiste, très bohème – j'ai découvert à travers ses tableaux
cette personnalité originale, souvent clouée au lit à cause de sa
polio et de ses accidents, féministe avant l'heure, championne des
droits des populations autochtones, et bien sûr communiste (c'est
pas pour rien que Trotsky dormait chez elle. Elle a même fait un
portrait à la gloire de Staline). Après ça, nous sommes allés
faire un petit tour de marché entre les étals de fruits et les
piñatas, histoire de nous restaurer. La spécialité du
quartier, ce sont les tostadas, des tortillas frites sur
laquelle des garçons très pressés mettent la garniture choisie
agrémentée de salade, d'avocat et d'une sauce idoine. J'en ai pris
trois (poulpe, ceviche et viande) mais c'était tellement bon que
j'aurais pu continuer pour goûter toutes les autres garnitures.
L'autre spécialité de Coyoacán, ce sont les churros. On
connaît ça par chez nous, surtout en Espagne, mais là les churros
sont fourrés à ce qu'on veut. J'ai pris le mien au fromage
Philadelphia et au caramel. Oui, c'était pas mal.
Pour venir à Coyoacán depuis le centre de Mexico, il faut prendre
le métro quasiment jusqu'au terminus puis sauter dans un minibus, un
genre de taxi itinérant qui prend du monde tant qu'il y en a qui
demande à monter, on y monte à moitié en marche et on y est
ballotté entre une mémé portant un enfant dans son dos et un gros
moustachu qui transpire. Celui qu'on a pris pour repartir de Coyoacán
était particulièrement folklorique: bondé, la musique latino à
fond, il ne manquait qu'une ou deux poules essayant de s'échapper,
un type montant avec son sombrero et le klaxon-cucaracha pour
que le tableau soit complet. Le métro aussi m'a donné une bonne
dose de couleur locale, car sur cette ligne, les petits vendeurs
ambulants traversent les uns après les autres les wagons pour
essayer de vendre qui un paquet de piles, qui un dauphin pour le
bain, qui un CD qu'il ne manque pas de faire écouter à tous les
voyageurs, qui un paquet de mouchoirs, etc. Ils ne doivent pas avoir
un métier facile mais ce qui est amusant, c'est que quoi qu'ils
aient à vendre, qu'ils opèrent dans les rames de métro ou dans la
rue pour essayer de vendre à manger, ils font tous leur promotion
sur le même ton monocorde avec un accent bien particulier. Si l'un
d'eux se décidait à faire différemment et à prendre un ton plus
enjoué, il serait sûrement le roi des vendeurs ambulants.
En milieu d'après-midi, nous sommes rentrés chez Karl souffler un
peu avant de ressortir plus tard. Je voulais commencer à raconter ma
journée, mais je n'ai pas trouvé le courage et, fort de
l'expérience de la sieste salvatrice de la vielle, je voulais
réitérer l'opération, or il s'est avéré que je n'étais pas
assez fatigué pour m'endormir.
Le programme de la fin d'après-midi, c'était que Karl me livre à
ses amis de dimanche dernier et qu'ils me fassent voir leur Mexico et
qu'ils me sortent, pendant que Karl révise pour son tour dans le
nord du pays. Il leur avait donné rendez-vous au monument à la
révolution en donnant pour consigne de ne pas être en retard. Seule
Ana Belem était au rendez-vous, Alcira et Mauricio ne pouvant pas se
libérer. Karl m'a donc confié à la dame et comme elle ne parle pas
très bien l'anglais, nous avons tenté de communiquer en espagnol.
Une belle immersion. Finalement, c'est une bonne chose que les deux
autres n'aient pas pu venir tout de suite, car ça nous a forcé à
discuter ensemble. Et donc ça se confirme que je ne parle pas
l'espagnol mais que je le baragouine bel et bien. C'est un bon début,
j'imagine. Elle a insisté pour rentrer dans le musée de la
révolution pour m'expliquer un peu cette histoire, alors même que
le musée fermait quinze minutes plus tard. Non seulement nous avons
couru sans rien voir de ce qui était exposé mais le niveau de
service était loin de celui auquel m'a habitué Karl. Les
explications étaient imprécises, certes, mais en plus je ne
comprenais rien. Après la visite éclair du musée, au sous-sol,
nous avons pris l'ascenseur pour monter au sommet du monument et
profiter de la vue imprenable sur tout le quartier. Le quartier en
question n'est pas très intéressant: moderne et hérissé de tours
bouchant l'horizon. Mais malgré les tours et la pollution, c'est de
là qu'on distingue le mieux les montagnes alentours. J'ai même cru
voir de la neige au sommet d'une d'elles, la femme qui dort (c'est
son nom, rapport à sa forme, mais moi je n'ai pas vu la femme qui
dormait).
Là-haut, Ana Belem a eu une idée de génie: monter dans une des
tours de la cathédrale avant le coucher du soleil. On y voit pas
aussi loin que depuis le monument à la révolution mais on peut y
admirer les cloches. Enfin, paraît-il. Car nous avons marché jusque
là et en plein milieu d'une artère piétonne noire de monde,
voilà-t'y pas qu'elle se fait arrêter net par un ami d'enfance
qu'elle n'avait pas vu depuis le lycée. La discussion n'a pas duré
longtemps, mais ça l'a toute émue. Quoi qu'il en soit, nous sommes
arrivés neuf minutes après la fermeture des tours. Pas bien grave.
Nous avons ensuite rejoint Alcira et Mauricio devant le palais des
beaux arts, dont elle voulait me montrer l'intérieur mais là aussi,
c'était fermé. Nous avons quand même pu rentrer dans le lobby pour
admirer l'architecture art déco de l'intérieur.
Ceci fait, nous sommes tous les quatre montés dans l'immeuble juste
en face, la tour Sears (prononcer «séarss») pour boire un verre en
terrasse. De là, nous avions une vue magnifique sur le parc de
l'Alameda, le palais des beaux arts, la poste que j'ai visitée avec
Karl la veille et dont j'ai oublié de parler, la flèche de
l'immonde tour latino américaine, et au-delà. La nuit tombait et la
ville s'est illuminée jusqu'au pied de la montagne. J'ai pris une
boisson locale, pimentée et au citron, dont je ne me rappelle plus
le nom. C'était bon au début mais écœurant à la longue. Mes
camarades de soirée étaient très sympas avec moi, ils prenaient le
temps de me parler, de m'expliquer leurs conversations, etc. Vraiment
très attentionnés. Mauricio, lui, ne se rendait pas bien compte de
mon niveau d'espagnol et parlait très très vite et,
malheureusement, je goûtais peu à son humour, car il faisait
beaucoup d'imitations de différents accents espagnols, alors
forcément, ça me parle peu.
La soirée s'est poursuivie dans un autre quartier, un peu branché,
du centre de Mexico. La rue Regina, autre fois un coupe-gorge, a été
fermée à la circulation et réhabilitée récemment et c'est
désormais un haut lieu artistique de la capitale, où les jeunes se
retrouvent tous les soirs de la semaine. Juste à côté de l'église
qui a donné son nom à la rue, un concert des Chemical Brothers
était projeté sur un écran. Nous l'avons regardé au milieu de la
foule quelques minutes puis nous avons poursuivi en quête d'un
endroit pour manger quelque chose. Les filles me montraient les plus
beaux édifices, m'expliquaient à quels éléments de la culture
populaire faisaient référence les fresques sur les murs et
m'invitaient à observer des détails. Nous sommes rentrés dans une
cour d'immeuble et là j'ai eu mon second choc stéréotypique de la
journée. J'avais l'impression d'être dans un film hollywoodien dont
l'action se passe au Mexique. Là dans la cour, une vierge illuminée
trônait au fond, du linge pendait sur des cordes tirées d'une
fenêtre à l'autre et un haut parleur crachait de la salsa,
cependant que deux gosses de 13 ans dansaient, et plutôt bien. On
nous a expliqué qu'une association était installée ici et
dispensait des cours de danse ou quelque chose comme ça; j'ai
préféré ne pas trop en savoir afin de préserver l'image que je me
fais du Mexique. Après plusieurs essais, nous nous sommes assis en terrasse d'un
petit resto où nous avons pris le menu du jour, normalement servi le
midi et constitué d'une soupe aux épinards et aux pâtes, d'un plat
de pâtes (oui, encore), et d'enchiladas. Tout était très
bon. Enfin surtout les enchiladas, le tout arrosé d'une
bière.
Karl devait nous rejoindre pour aller boire des coups mais il
est arrivé tard et avait faim. Nous avons donc remonté la rue pour
qu'il se trouve un burrito à manger et ceci fait, nous nous sommes
pris en photo pour marquer le coup mais nous ne sommes pas allés
boire des coups. J'étais à la fois déçu – je voulais découvrir
ce qu'était une pulqueria, qui n'est pas un endroit où l'on
fabrique le Pulco parce qu'il fait «trop chaud pour travailler» –
et soulagé, parce que je comptais me lever tôt le lendemain pour
aller visiter le site mystérieux de Teotihuacan. Nous nous sommes
séparés en essayant de trouver un moment pour nous revoir avant mon
départ, ce qui s'avère compliqué, puis Karl et moi sommes rentrés
chez lui. Là, je pensais commencer à raconter ma longue et
fantastique journée, mais nous avons commencé à planifier le reste
de mon voyage. Ce n'est que quand Karl est parti se coucher que j'ai
commencé à écrire et maintenant, de grâce, laissez-moi aller me
coucher sinon je ne vais jamais réussir à aller à Teotihuacan
demain matin (j'ai déjà laissé tomber l'idée d'y aller au lever
du soleil, vu qu'il est quasiment 2 h du matin. Pardonnez-moi donc
d'avance pour les fautes que vous allez trouver dans le présent
récit).
3 commentaires:
Tu n'as pas vu le film Frida sur Frida Kahlo ? Moi qui m'attache d'habitude uniquement à l'histoire quand je vais au ciné, j'avais été subjuguée par les couleurs, la musique, l'ambiance... un grand moment !
Hola guapeton, j'ai comme un flash back grâce à tes récits. Merci pour le blog illustré et, si tu passes par Atlixco 42 dans la Condesa, je veux bien une petite photo ! Disfrutalo ! t.
Eh ben non Elisa, j'ai pas vu le film mais je peux te dire que je vais me trouver ça au plus vite dès mon retour :)
Thomas, je pars demain matin de Mexico. Quand je reviens prendre l'avion, si j'ai le temps, promis: je prends une photo. C'est là où tu as habité?
Enregistrer un commentaire