Jeudi
21 février 2013
Une nuit dans un vrai lit avec
les boules Quiès (surtout quand il y a des Français un peu relous
qui parlent super fort de l'autre côté de la courette), y'a que ça
de vrai! Pas trop le temps d'en profiter, car le départ pour
l'excursion était fixé à 10 h 00 et il fallait que je libère la
chambre et que je prépare mes affaires pour affronter le bus du
soir. En guise de petit déjeuner, j'ai pris au restaurant de l'hôtel
des quesadillas, c'est-à-dire des galettes juste fourrées au
fromage d'Oaxaca (qu'on pourrait comparer un peu à de la
mozzarella), que j'ai beaucoup appréciées.
C'est dommage, la journée avait
bien commencé. Le serveur a mis un peu de temps à me rendre ma
monnaie et j'ai commencé à être à la bourre. Je suis vite
retourné dans ma chambre finir de me préparer, puis j'ai rendu la
clé et réservé un consigne pour garder mes affaires, puis j'ai dû
reprendre la clé pour récupérer une serviette que j'avais oubliée
dans la chambre. J'ai rappelé à la réceptionniste que je n'avais
pas réglé ma bière de la veille au soir (encore une question de
petite monnaie) et elle m'a dit que j'en devais deux (la deuxième,
soit dit en passant, valant moins cher), or j'étais sûr de n'avoir
pris qu'une bière. Bon, elle m'a cru sur parole, mais elle a encore
dû aller chercher du change je ne sais où pour me rendre la monnaie
sur un petit billet. L'heure tournait et moi je trépignais.
L'agence de voyages où j'avais
réservé n'était pas loin mais j'y suis allé en me pressant un
peu: ce n'est parce que les Mexicains sont systématiquement en
retard (dixit Maryline) que moi je dois l'être. Le voyagiste était
là, il m'attendait avec un accompagnateur. L'accompagnateur m'a
accompagné à une autre agence de voyages, un pâté de maisons
(hmm, pâté) plus loin, et m'a confié à un guide. Là, on a
attendu une dizaine de minutes. Il commençait à faire chaud,
surtout au soleil, et les façades étaient joliment illuminées.
J'ai sorti mon appareil photo et là, catastrophe! Ledit appareil
photo refuse de remplir la fonction pour laquelle il a été conçu,
en l'occurrence, prendre les photos. «Rechargez la batterie», qu'il
me dit. Ah oui mais sans chargeur et en train d'attendre un minibus,
moi, je ne peux pas recharger la batterie. Ô rage, ô désespoir, ô
technologie ennemie. Bien sûr, c'est de ma faute, j'aurais dû
charger mon appareil photo pendant la nuit mais j'en veux quand même
à la machine, qui, pendant des jours m'indiquait que la batterie
était pleine et, deux jours plus tard, me prive de clichés.
J'allais passer toute une journée à visiter des sites intéressants
et j'allais revenir sans preuves.
J'ai rangé mon appareil et j'ai
étudié dans ma tête les options qui s'offraient à moi: rentrer à
l'hôtel, demander la clé du casier, sortir le chargeur, charger
pendant deux minutes OU prendre le chargeur avec moi et espérer que
le minibus soit équipé d'une prise. Trop d'inconnues et
logistiquement compliqué. Et alors, j'ai pensé à autre chose: mon
téléphone. C'est une bonne chose que les téléphones ne servent
plus seulement à téléphoner. La qualité des photos n'est pas
géniale et il n'est pas très réactif, mais au moins, la batterie
est pleine et ça dépannera bien. Je pensais avoir une mémoire
limitée pour les photos mais la résolution étant tellement
mauvaise, j'ai pu en prendre près de 70 (soixante-dix ou septante)
tout au long de la journée.
Ainsi, j'étais là avec mon
appareil photo sans utilité dans l'immédiat et mon téléphone qui
allait me sauver la journée photographique à attendre le minivan. À
un moment, le guide auquel m'avait confié l'accompagnateur auquel
m'avait confié le vendeur de l'agence de voyages m'a pressé de le
suivre. Nous sommes montés dans une grosse voiture américaine et je
pensais que soit j'étais le seul bénéficiaire de l'excursion, ce
qui aurait été un peu triste, soit j'étais en train d'être pris
en otage, ce qui aurait été pour le moins fâcheux. En fait, nous
allions rejoindre le minibus dans un autre quartier de la ville.
Pendant ce temps, mon guide et son chauffeur semblaient avoir une
discussion animée sur les fautes courantes à ne pas faire en
espagnol et l'accentuation des mots. Le mot «atmósfera»,
notamment, faisait débat, parce que la plupart des gens disent
«atmosphera». Ça m'a fait rire, ça m'a rappelé mes
propres discussions avec mon entourage.
Notre voiture a tourné en ville
pendant cinq minutes, puis après quelques coups de fil, mon guide
est sorti de la voiture en me disant que le chauffeur allait
m'emmener au minibus. Les embouteillages étaient nombreux et le
chauffeur s'est un peu énervé à faire des demi-tours et à prendre
des petites ruelles, avant de me confier, enfin – après être
passé entre les mains d'un voyagiste, d'un accompagnateur, d'un
guide et d'un chauffeur – à guide-chauffeur du minibus pour la
journée, Moises. À l'excursion participaient plusieurs Mexicains
d'autres régions, mais aussi un Américain de Phoenix et un couple
canadien d'origine allemande et leur amie souffrant de la même
condition, tous assez âgés. Ce n'est pas là que j'allais
rencontrer de jolies étudiantes danoises mais le petit groupe était
néanmoins sympathique.
Juste à la sortie d'Oaxaca, nous
nous sommes arrêtés dans la petite ville de Tule, dont la
particularité est d'abriter un très vieil arbre – un type de
cyprès – de plus de 14 mètres de diamètre. Il serait le plus
vieux de son espèce, avec un âge estimé à plus de 2 000 ans.
Ce n'est rien comparé à certains séquoias en Californie ou à des
oliviers ou des cèdres au Proche-Orient qui auraient jusqu'à 6 000
ans, mais quand on imagine tout ce que cet arbre a pu voir au cours
de sa vie, je trouve que c'est impressionnant. Nous avons eu un quart
d'heure pour faire le tour de l'arbre (ça prend en réalité bien
moins de temps) et, évidemment, laisser un peu d'argent dans les
nombreuses boutiques aux alentours.
Ensuite, nous avons emprunté la
route panaméricaine – qui part de l'Alaska pour aller tout au sud
du continent américain, mais on ne voit aucun panneau indiquant
«Alaska» ou «Patagonie», c'est dommage, et d'ailleurs, malgré
son nom et son prestige, elle ne ressemble par endroit qu'à un
chemin de campagne goudronné – pour nous rendre à la deuxième
étape, un atelier de tissage de la laine tenu par une famille. À la
base, je voulais que mon excursion de la journée se limite à deux
sites: l'arbre et Hieve el Agua, mais je dois dire que j'ai été
subjugué par les explications et le savoir-faire du tisserand, un
Zapotèque dont le métier se transmet de père en fils. Il nous a
expliqué comment préparer la laine et comment la colorer avec des
colorants naturels. J'étais comme un gosse en le voyant transformer
la cochenille, un parasite blanc du cactus, en rouge simplement en
l'écrasant puis en violet en y ajoutant un peu de citron. Plus
étonnant encore, les fruits de la grenade, rouge, donc, mélangés à
du calcaire créent un colorant vert. Puis il nous a fait une
démonstration du métier à tisser. Quelle maîtrise, quelle
patience, quel effort physique! Bien entendu, la visite s'est
terminée par la salle d'exposition, où l'excursionniste pouvait
donner libre cours à ses envies de se libérer de ce qu'il y avait
dans son porte-monnaie. Les artisans qui utilisent les colorants
naturels sont peu nombreux et j'ai, disons, voulu encourager cette
pratique.
Après l'atelier de tissage, il
était l'heure de l'apéritif. Ça tombait bien, l'étape suivante,
tout près de là, était une fabrique artisanale de mezcal, la gnôle
locale. Même genre que la tequila. On a vu les hommes à l’œuvre
en train de distiller l'agave et on a eu droit à la dégustation de
quatre ou cinq sortes de produits. Le premier était un alcool qui
titrait à 60°, puis on est descendu un peu, à 45°, en augmentant
l'âge du produit. Tous étaient très bons et, là-aussi, l'alcool
aidant peut être de surcroît, j'ai cédé pour un mezcal de
qualité. La petite dégustation de mezcal, ça aide à se faire des
amis. J'ai pu discuter avec mes camarades de route et notamment avec
l'une des Canadiennes-Allemandes, qui parlait très bien le français.
Très gentille, elle avait l'air de se plaindre de devoir, pour ne
pas voyager seule, supporter son couple d'amis qui étaient un peu
moins roots qu'elle, semblerait-il.
Ensuite, nous avons repris la
panaméricaine et là nous étions bien en milieu rural. Les paysages
sont très beaux dans cette région sèche, on voit des cactus
sauvages, des cactus d'élevage et la montagne aux tons d'automne au
bout de la plaine bucolique. Nous nous sommes rendus sur le site
préhispanique de Mitla. Tout petit, il est néanmoins intéressant
pour ses bas-reliefs très bien conservés. De plus, ce site,
contrairement à beaucoup d'autres, n'a jamais été abandonné et
les indigènes vivent autour du site préservé et ont construit
leurs maisons au milieu d'autres ruines. Une belle église, édifiée
avec les pierres du site original, se trouve juste à côté et les
habitants du village tiennent de nombreux étals de produits
artisanaux (là encore, mon porte-monnaie a un peu tiré la gueule).
Le tout est très pittoresque et fait de Mitla un site intéressant à
découvrir.
Puis vint l'heure de manger. Sans
doute acoquiné avec le patron du restaurant, le chauffeur nous a
emmené dans une grande cafétéria construite quasiment au milieu de
nulle part, destiné exclusivement à l'accueil de groupes de
touristes comme nous. D'ailleurs, j'ai recroisé plusieurs personnes
que j'avais déjà vues sur des sites plus tôt dans la journée.
L'attraction phare du restaurant, c'est son buffet à volonté. Je
n'avais pas très faim, mais le buffet n'était pas cher et il
permettait de prendre des spécialités locales qu'on pouvait choisir
de visu: sauterelles grillées, mole de toutes les couleurs
(j'ai apprécié le rouge), viandes grillées. J'ai mangé,
sans abus, mais avec des sauterelles, en compagnie de mes nouveaux
amis anglophones. L'Américain, qui devait avoir au moins 70 ans, un
seul poumon et un appareil auditif, est un grand voyageur; il va
presque partout seul et il est même allé en Corée du Nord. Les
Canadiens, eux, ont aussi pas mal voyagé. Justement, ils étaient
déjà allés à Pamukkale, en Turquie, et pensaient donc qu'ils ne
verraient rien de neuf en poussant l'excursion jusqu'à Hierve el
Agua. C'est donc là que nous nous sommes quittés mais d'autres
touristes sont montés dans notre minibus.
La route, sinueuse, cahoteuse et
spectaculaire, vers Hierve el Agua a duré 45 minutes. J'étais du
mauvais côté du bus et je ne pouvais pas prendre en photo les
superbes panoramas qui s'offraient à nous depuis la route (et il
faisait trop sombre en redescendant). Mais sur le site de Hierve el
Agua, j'ai eu tout le temps d'en faire d'autres. Si j'ai bien
compris, «hierve el agua» signifie quelque chose comme «l'eau qui
bout» (boue? bouille? boint? J'ai comme un doute) mais l'eau qui
sort des sources est froide. Le site doit probablement son nom au
bouillonnement que fait l'eau en sortant de terre. En fait, il s'agit
d'eau sulfureuse et calcaire qui a formé de nombreuses petites
piscines naturelles et, surtout, des chutes d'eau pétrifiées, qu'on
voit un peu plus loin. On m'avait dit qu'on pouvait se baigner dans
la plus grande des piscines et c'est pourquoi j'ai pris mon matériel
de baignade mais j'ai été le seul à tenter l'expérience. Personne
d'autre n'avait même pensé à prendre son maillot de bain. L'eau
était un peu fraîche, mais bonne et, seul dans mon bain, je me
sentais comme un millionnaire dans ma piscine panoramique. Je me
suis séché en allant explorer les autres formations mais c'est
dommage qu'on n'aie pas eu plus de temps pour profiter du coin,
notamment pour descendre voir les cascades pétrifiées (il y a un
chemin) ou aller faire des balades dans la montagne.
Sur le chemin du retour, qui a
duré un peu plus d'une heure, j'ai discuté un petit peu avec une
jeune étudiante argentine qui parlait français et qui voyageait
avec sa cousine qui vit au Mexique. Le minibus m'a déposé devant
mon hôtel, je me suis changé, j'ai refait mon sac avec mes
nouvelles acquisitions et je me suis installé à une table du
restaurant déserté pour commencer le récit de ma journée en
sirotant une Corona. Puis je suis allé à pied – une promenade
d'un quart d'heure environ – jusqu'à la gare routière, où on
embarquait déjà pour Tuxtla Gutiérrez. Le terminal de première
classe est vraiment nickel mais ce qu'il manque, c'est un panneau
d'affichage qui indique les portes et heures d'embarquement, car les
annonces ne sont faites qu'en espagnol et il faut quand même
comprendre pas mal pour savoir ce qu'il faut faire.
Le bus n'est pas à la hauteur de
mes espérances. Il est beaucoup mieux que le dernier que j'ai pris
mais j'envisageais plus de confort. D'ailleurs, une grille vient de
se décrocher du plafonnier au milieu du couloir. Et puis il est
bourré à craquer. Presque jusqu'au moment du départ, j'ai cru que
j'allais avoir les deux sièges pour moi tout seul mais le dernier
passager à monter dans le bus est venu s'installer à côté de moi.
En plus, j'ai pas de chance, je suis tombé sur le plus lourd de
tous. Il joue à un jeu de foot qui produit des bruits stridents de
sifflet à tout bout de champ, il commente ses actions ratées et
manquées (plus souvent l'une que l'autre) et il a le tic de se curer
bruyamment les dents. J'espère que les bouchons d'oreille que
j'espère avoir pris avec moi m'aideront à atténuer tout ça.
2 commentaires:
Voilà un billet joliment rédigé que j'ai pris beaucoup de plaisir à lire. Merci de te donner cette peine !
Aniouta
Merci Aniouta, ton commentaire me fait très plaisir :)
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