mercredi 13 février 2013

On entre dans le vif du sujet

4e jour - Mexico 
Mardi 12 février

La journée à été longue et très riche. J'ai été servi en culture, en nourriture, en relations sociales et en stéréotypes. Et ça y est, je crois que je commence à m'adapter à l'heure mexicaine: ce matin, pas envie de me lever et ce soir, pas envie de me coucher. Comme à la maison. N'empêche que nous sommes partis un peu plus tôt ce matin. Ayant eu quasiment la réaction de Coluche quand il se voit dans le miroir dans «Banzaï» en découvrant mon visage rougi par le soleil, j'ai décidé de ne pas me laisser insolationner aujourd'hui grâce à un ingénieux stratagème de badigeonnage de crème solaire indice 50 et d'hydratation intensive.

Karl voulait m'emmener à Coyoacán mais je lui ai, l'air de rien, rappelé qu'il voulait me montrer le palais présidentiel que nous n'avions pas pu visiter hier pour cause de fermeture le lundi. «Ah oui, ben allons-y», qu'il a dit. Alors nous y sommes allés et j'ai vu ce très beau palais, l'un des premiers édifices construits par les Espagnols, avec les pierres des temples aztèques. J'ai beaucoup aimé les nombreuses arches qui entourent la cour centrale sur trois étages et Karl m'a décrit les immenses peintures murales de Diego Riviera dans la cage d'escalier, qui représentent toute l'histoire du Mexique, des civilisations pré-hispaniques au début du 20e siècle, avec de fortes connotations de gauche (normal, son pote c'était quand même Trotsky, donc bon). Nous avons vite fait le tour de la cour, puis du jardin, car mon cousin ne se contente pas de maîtriser toute l'histoire du Mexique, de ses personnalités et de leurs familles en Europe, il en connaît un rayon sur la faune et la flore locale. Dans le jardin présidentiel, j'ai, grâce à lui, appris tout un tas de choses sur les cactus, leur longévité, leur utilisation et leurs surnoms.

Nous sommes ressortis du palais par une rue que j'avais empruntée la veille lors de ma deuxième excursion vespérale au Zocalo. Elle était beaucoup plus jolie là maintenant avec un peu plus de soleil, en particulier la maison qu'on voit en sortant du palais, qui est très jolie mais qui présente un caractéristique bien particulière, celle d'avoir du monde au balcon. Et quel monde! à chaque balcon se dresse la représentation d'un squelette habillé de belles toilettes du 19e siècle. Si j'ai bien compris, l'artiste voulait dénoncer une certaine attitude de la bourgeoisie de l'époque et rappeler que tout le monde est égal devant la mort. Dans cette rue, l'alignement des immeubles dessine une vague, en raison de l'instabilité du sol (rappelons que la ville a été construite sur un lac asséché artificiellement et qu'elle se trouve en zone sismique), et on voit bien parfois des immeubles qui se séparent de leur voisin ou des façades d'église qui donnent l'impression de tomber en avant. Des millions de pesos sont dépensés pour – sinon redresser – du moins stabiliser les sols et veiller à ce que les bâtiments ne s'effondrent pas sur leurs occupants.

Après notre visite éclair du palais présidentiel, nous avons repris le métro vers le sud et Coyoacán – le lieu des coyotes, en nahuatl (oui c'est une langue, et on la parle toujours) –, une petite ville dans la ville, un quartier bohème aux belles demeures (le méchant Cortes, le colon originel, y avait une maison) et aux charmantes maisons plus populaires, un lieu prisé des habitants de Mexico le week-end. J'ai beaucoup aimé ses rues calmes (le week-end c'est différent, paraît-il) et ses maisons colorées, son marché animé et la maison des artistes Frida Kahlo et Diego Riviera. C'est à Coyoacán que le révolutionnaire russe Léon Trotsky s'est fait assassiner. Je dois avouer mon inculture et admettre que si le nom me disait quelque chose, j'ignorais quelle était l’œuvre de Frida Kahlo. Dans sa maison – très belle, du reste, une maison d'artiste, très bohème – j'ai découvert à travers ses tableaux cette personnalité originale, souvent clouée au lit à cause de sa polio et de ses accidents, féministe avant l'heure, championne des droits des populations autochtones, et bien sûr communiste (c'est pas pour rien que Trotsky dormait chez elle. Elle a même fait un portrait à la gloire de Staline). Après ça, nous sommes allés faire un petit tour de marché entre les étals de fruits et les piñatas, histoire de nous restaurer. La spécialité du quartier, ce sont les tostadas, des tortillas frites sur laquelle des garçons très pressés mettent la garniture choisie agrémentée de salade, d'avocat et d'une sauce idoine. J'en ai pris trois (poulpe, ceviche et viande) mais c'était tellement bon que j'aurais pu continuer pour goûter toutes les autres garnitures. L'autre spécialité de Coyoacán, ce sont les churros. On connaît ça par chez nous, surtout en Espagne, mais là les churros sont fourrés à ce qu'on veut. J'ai pris le mien au fromage Philadelphia et au caramel. Oui, c'était pas mal.

Pour venir à Coyoacán depuis le centre de Mexico, il faut prendre le métro quasiment jusqu'au terminus puis sauter dans un minibus, un genre de taxi itinérant qui prend du monde tant qu'il y en a qui demande à monter, on y monte à moitié en marche et on y est ballotté entre une mémé portant un enfant dans son dos et un gros moustachu qui transpire. Celui qu'on a pris pour repartir de Coyoacán était particulièrement folklorique: bondé, la musique latino à fond, il ne manquait qu'une ou deux poules essayant de s'échapper, un type montant avec son sombrero et le klaxon-cucaracha pour que le tableau soit complet. Le métro aussi m'a donné une bonne dose de couleur locale, car sur cette ligne, les petits vendeurs ambulants traversent les uns après les autres les wagons pour essayer de vendre qui un paquet de piles, qui un dauphin pour le bain, qui un CD qu'il ne manque pas de faire écouter à tous les voyageurs, qui un paquet de mouchoirs, etc. Ils ne doivent pas avoir un métier facile mais ce qui est amusant, c'est que quoi qu'ils aient à vendre, qu'ils opèrent dans les rames de métro ou dans la rue pour essayer de vendre à manger, ils font tous leur promotion sur le même ton monocorde avec un accent bien particulier. Si l'un d'eux se décidait à faire différemment et à prendre un ton plus enjoué, il serait sûrement le roi des vendeurs ambulants.

En milieu d'après-midi, nous sommes rentrés chez Karl souffler un peu avant de ressortir plus tard. Je voulais commencer à raconter ma journée, mais je n'ai pas trouvé le courage et, fort de l'expérience de la sieste salvatrice de la vielle, je voulais réitérer l'opération, or il s'est avéré que je n'étais pas assez fatigué pour m'endormir.

Le programme de la fin d'après-midi, c'était que Karl me livre à ses amis de dimanche dernier et qu'ils me fassent voir leur Mexico et qu'ils me sortent, pendant que Karl révise pour son tour dans le nord du pays. Il leur avait donné rendez-vous au monument à la révolution en donnant pour consigne de ne pas être en retard. Seule Ana Belem était au rendez-vous, Alcira et Mauricio ne pouvant pas se libérer. Karl m'a donc confié à la dame et comme elle ne parle pas très bien l'anglais, nous avons tenté de communiquer en espagnol. Une belle immersion. Finalement, c'est une bonne chose que les deux autres n'aient pas pu venir tout de suite, car ça nous a forcé à discuter ensemble. Et donc ça se confirme que je ne parle pas l'espagnol mais que je le baragouine bel et bien. C'est un bon début, j'imagine. Elle a insisté pour rentrer dans le musée de la révolution pour m'expliquer un peu cette histoire, alors même que le musée fermait quinze minutes plus tard. Non seulement nous avons couru sans rien voir de ce qui était exposé mais le niveau de service était loin de celui auquel m'a habitué Karl. Les explications étaient imprécises, certes, mais en plus je ne comprenais rien. Après la visite éclair du musée, au sous-sol, nous avons pris l'ascenseur pour monter au sommet du monument et profiter de la vue imprenable sur tout le quartier. Le quartier en question n'est pas très intéressant: moderne et hérissé de tours bouchant l'horizon. Mais malgré les tours et la pollution, c'est de là qu'on distingue le mieux les montagnes alentours. J'ai même cru voir de la neige au sommet d'une d'elles, la femme qui dort (c'est son nom, rapport à sa forme, mais moi je n'ai pas vu la femme qui dormait).

Là-haut, Ana Belem a eu une idée de génie: monter dans une des tours de la cathédrale avant le coucher du soleil. On y voit pas aussi loin que depuis le monument à la révolution mais on peut y admirer les cloches. Enfin, paraît-il. Car nous avons marché jusque là et en plein milieu d'une artère piétonne noire de monde, voilà-t'y pas qu'elle se fait arrêter net par un ami d'enfance qu'elle n'avait pas vu depuis le lycée. La discussion n'a pas duré longtemps, mais ça l'a toute émue. Quoi qu'il en soit, nous sommes arrivés neuf minutes après la fermeture des tours. Pas bien grave. Nous avons ensuite rejoint Alcira et Mauricio devant le palais des beaux arts, dont elle voulait me montrer l'intérieur mais là aussi, c'était fermé. Nous avons quand même pu rentrer dans le lobby pour admirer l'architecture art déco de l'intérieur.

Ceci fait, nous sommes tous les quatre montés dans l'immeuble juste en face, la tour Sears (prononcer «séarss») pour boire un verre en terrasse. De là, nous avions une vue magnifique sur le parc de l'Alameda, le palais des beaux arts, la poste que j'ai visitée avec Karl la veille et dont j'ai oublié de parler, la flèche de l'immonde tour latino américaine, et au-delà. La nuit tombait et la ville s'est illuminée jusqu'au pied de la montagne. J'ai pris une boisson locale, pimentée et au citron, dont je ne me rappelle plus le nom. C'était bon au début mais écœurant à la longue. Mes camarades de soirée étaient très sympas avec moi, ils prenaient le temps de me parler, de m'expliquer leurs conversations, etc. Vraiment très attentionnés. Mauricio, lui, ne se rendait pas bien compte de mon niveau d'espagnol et parlait très très vite et, malheureusement, je goûtais peu à son humour, car il faisait beaucoup d'imitations de différents accents espagnols, alors forcément, ça me parle peu.

La soirée s'est poursuivie dans un autre quartier, un peu branché, du centre de Mexico. La rue Regina, autre fois un coupe-gorge, a été fermée à la circulation et réhabilitée récemment et c'est désormais un haut lieu artistique de la capitale, où les jeunes se retrouvent tous les soirs de la semaine. Juste à côté de l'église qui a donné son nom à la rue, un concert des Chemical Brothers était projeté sur un écran. Nous l'avons regardé au milieu de la foule quelques minutes puis nous avons poursuivi en quête d'un endroit pour manger quelque chose. Les filles me montraient les plus beaux édifices, m'expliquaient à quels éléments de la culture populaire faisaient référence les fresques sur les murs et m'invitaient à observer des détails. Nous sommes rentrés dans une cour d'immeuble et là j'ai eu mon second choc stéréotypique de la journée. J'avais l'impression d'être dans un film hollywoodien dont l'action se passe au Mexique. Là dans la cour, une vierge illuminée trônait au fond, du linge pendait sur des cordes tirées d'une fenêtre à l'autre et un haut parleur crachait de la salsa, cependant que deux gosses de 13 ans dansaient, et plutôt bien. On nous a expliqué qu'une association était installée ici et dispensait des cours de danse ou quelque chose comme ça; j'ai préféré ne pas trop en savoir afin de préserver l'image que je me fais du Mexique. Après plusieurs essais, nous nous sommes assis en terrasse d'un petit resto où nous avons pris le menu du jour, normalement servi le midi et constitué d'une soupe aux épinards et aux pâtes, d'un plat de pâtes (oui, encore), et d'enchiladas. Tout était très bon. Enfin surtout les enchiladas, le tout arrosé d'une bière.

Karl devait nous rejoindre pour aller boire des coups mais il est arrivé tard et avait faim. Nous avons donc remonté la rue pour qu'il se trouve un burrito à manger et ceci fait, nous nous sommes pris en photo pour marquer le coup mais nous ne sommes pas allés boire des coups. J'étais à la fois déçu – je voulais découvrir ce qu'était une pulqueria, qui n'est pas un endroit où l'on fabrique le Pulco parce qu'il fait «trop chaud pour travailler» – et soulagé, parce que je comptais me lever tôt le lendemain pour aller visiter le site mystérieux de Teotihuacan. Nous nous sommes séparés en essayant de trouver un moment pour nous revoir avant mon départ, ce qui s'avère compliqué, puis Karl et moi sommes rentrés chez lui. Là, je pensais commencer à raconter ma longue et fantastique journée, mais nous avons commencé à planifier le reste de mon voyage. Ce n'est que quand Karl est parti se coucher que j'ai commencé à écrire et maintenant, de grâce, laissez-moi aller me coucher sinon je ne vais jamais réussir à aller à Teotihuacan demain matin (j'ai déjà laissé tomber l'idée d'y aller au lever du soleil, vu qu'il est quasiment 2 h du matin. Pardonnez-moi donc d'avance pour les fautes que vous allez trouver dans le présent récit).

3 commentaires:

Zaz a dit…

Tu n'as pas vu le film Frida sur Frida Kahlo ? Moi qui m'attache d'habitude uniquement à l'histoire quand je vais au ciné, j'avais été subjuguée par les couleurs, la musique, l'ambiance... un grand moment !

tomtom a dit…

Hola guapeton, j'ai comme un flash back grâce à tes récits. Merci pour le blog illustré et, si tu passes par Atlixco 42 dans la Condesa, je veux bien une petite photo ! Disfrutalo ! t.

Jean-Michel a dit…

Eh ben non Elisa, j'ai pas vu le film mais je peux te dire que je vais me trouver ça au plus vite dès mon retour :)
Thomas, je pars demain matin de Mexico. Quand je reviens prendre l'avion, si j'ai le temps, promis: je prends une photo. C'est là où tu as habité?