dimanche 24 février 2013

Un torticolis et une paire de lunettes plus tard

14e jour – Tuxtla Gutiérrez, Chiapa de Corzo et San Cristóbal de las Casas
Vendredi 22 février 2013

Donc j'ai pris une nouvelle fois un bus de nuit. Neuf heures et demie de trajet entre Oaxaca et Tuxtla Guttiérrez en première classe. La première classe, c'est mieux que la seconde classe – le bus était propre, on avait de la place pour les jambes et je pouvais incliner mon siège – mais on y dort tout aussi mal. Je l'ai dit, le bus était bondé et j'avais un type bruyant à côté de moi. Les bouchons d'oreilles n'y ont rien fait, j'ai entendu les coups de sifflet de son jeu de foot pendant encore longtemps. L'être humain n'est pas fait pour dormir dans un bus. Ou alors je suis trop vieux pour ces conneries. Il a fallu un bon moment avant que je trouve le sommeil, en calant mon pull derrière la nuque et en me recouvrant de la tête à la taille de mon coupe vent, pour dormir un peu plus dans le noir et me protéger de la climatisation qui soufflait à fond.

À l'arrivée, pendant que nous attendions que les bagages soient déchargés de la soute, j'ai entamé la conversation avec deux Françaises, Pauline et Adeline, qui occupaient les sièges de l'autre côté du couloir. Nous avions un programme à peu près commun pour la journée mais je ne voulais pas m'imposer alors pendant qu'elles se prenaient un petit déjeuner à la gare routière, je suis parti chercher un bus pour Chiapa de Corzo. Toutefois, en sortant de la gare, je me suis rendu compte que je n'avais plus de lunettes de soleil. Horreur! Malheur! Je suis retourné voir les filles et je leur ai demandé de garder mon sac pendant que je me renseignais pour savoir où était le bus. Un homme au guichet m'a dit que le bus était déjà à l'atelier et m'en a donné l'adresse. C'était à l'autre bout de la ville. J'ai abandonné mes deux camarades et j'ai pris un taxi pour l'atelier des bus. Et me me suis retrouvé à quatre pattes dans le couloir d'un bus vide pour trouver une boite de lunettes. Rien. Déception. Surtout qu'elles étaient quasiment neuves. Soit je les ai laissées à l'hôtel, soit elles sont tombées de mon sac dans le minibus en revenant de Hierve el Agua.

En partant de l'atelier, j'ai demandé par où était le centre, afin de rejoindre l'arrêt des minivans pour Chiapa de Corzo. On ma dit: «tout droit» et «tu peux sauter dans ce bus, là, ça coûte 6 pesos». Oui mais le temps que je mette mon sac sur le dos, le bus était déjà parti. Alors j'y suis allé à pied. Et j'ai eu très chaud. Mais ça m'a permis de découvrir une ville banale de province au Mexique, ses gens qui vont travailler, son Zócalo, etc. Je suis arrivé trois quarts d'heure plus tard dans la rue des minibus et je me suis aussitôt fait klaxonner pour aller à Chiapa. Le trajet a duré un peu plus d'une demi-heure, pendant laquelle un type déguisé en clown a raconté des blagues. J'ai compris la première, qui ne m'a pas fait rire, puis j'ai laissé tomber. De toute façon j'aime pas les clowns (gnagnagnagnagna).

De Chiapa de Corzo, je n'ai vu que la place principale, immense. À peine sorti du bus, un rabatteur d'agence de voyages m'a proposé l'excursion dans le canyon de Sumidero et comme le prix était le même que celui qui était indiqué dans le Routard, j'ai aussitôt accepté. Il m'a conduit de l'autre côté du Zócalo dans une petite boutique, où j'ai tout de suite reconnu les deux sacs à dos de mes camarades de bus françaises. On m'a ensuite emmené en voiture jusqu'à l'embarcadère des lanchas. Avec toutes ces histoires, je n'avais encore rien mangé de la journée alors je me suis pris un petit sandwich rapide avant de rentrer dans l'embarcadère. Là, on m'a dit d'attendre le prochain bateau mais je n'avais pas envie d'attendre je ne sais combien de temps. J'ai fait valoir à la caissière qu'il y avait deux filles qui m'attendaient juste là, dans l'espace d'attente, ce qui n'était pas tout à fait vrai puisque Pauline et Adeline ne m'attendaient pas du tout.

Un peu plus tôt, entre le moment où j'étais descendu du minibus à Chiapa de Corzo et le moment où je suis rentré dans l'agence qui vendait les excursions dans le canyon, je me suis rendu compte que j'avais perdu, outre mes lunettes, ma crème solaire. Je l'avais sortie du sac exprès à l'atelier des autobus pour pouvoir m'en appliquer en prévision du soleil qui tape dans le canyon. Du coup, plus de crème solaire, et pour en trouver dans ce pays où les gens ont la peau sombre et ne jugent pas utile de se protéger du soleil, ce qu'on peut comprendre, il faut bien chercher. On en vendait bien à l'embarcadère mais je n'avais pas assez de monnaie sur moi pour m'en acheter. J'ai raconté cette histoire à Pauline et Adeline, qui ont pris pitié de moi et qui m'ont gracieusement offert de leur en emprunter. Nous sommes entrés dans le bateau, équipés de beaux gilets de sauvetage oranges, puis nous avons entamé notre descente du canyon dans la grosse rivière formée par le barrage édifié en aval.

Le canyon est certes impressionnant mais la balade est un peu monotone, surtout quand on a très envie de dormir. Il m'était arrivé une histoire du même genre il y a une dizaine d'années quand je voyageais en Europe du Nord. J'étais arrivé à Geiranger, en Norvège, après une très courte nuit de bus, et j'avais fait une excursion dans le fjord du même nom sans en profiter vraiment car je m'étais endormi dans le bateau, malgré la magnificence du site. Dans le canyon, il faisait chaud et lumineux et je n'avais plus de crème solaire, ni de lunettes de soleil. Heureusement que j'avais encore mon chapeau. Le tout était de ne pas le perdre, car le bateau avançait vite et le vent avait tendance à faire voler les couvre-chefs. On a appris que les falaises qui se dressaient au-dessus de nous atteignaient une hauteur de près de 1 000 mètres. C'est énorme et, surtout, ce n'est pas vrai. L'altitude du sommet de la falaise la plus haute est de 1 000 mètres et le lit de la rivière se situe à 500 mètres. Quant à notre bateau, il se trouvait à 100 mètres au-dessus du lit de la rivière, ce qui est déjà pas mal, ce qui fait que les falaises se dressaient à 400 mètres au-dessus de nous. Vous avez suivi?

Le plus intéressant et le plus surprenant, parce que je ne m'y attendais pas (oui, c'est le principe de la surprise), ça a été de voir des crocodiles. J'en avais déjà vu un au cours du voyage, lors de notre excursion avec Maryline et Alex dans la lagune de Pie de la Cuesta, mais il était en cage. Les tortues l'utilisaient comme embarcation, c'était amusant... et triste à la fois, parce qu'il était dans un enclos vraiment petit. Là, dans le canyon, les crocos étaient en liberté. Ils n'étaient pas bien vifs, mais c'est dans leur nature. Les deux premiers doraient au soleil sur une pierre qui émergeait de la rivière. Ils étaient énormes. Du suivant, nous n'avons vu que la queue qui rentrait dans l'eau, et le dernier se reposait sur la berge de la rivière. Nous en étions vraiment tout près et c'était très impressionnant. Nous avons vu aussi pas mal d'oiseaux, une grotte qui était bien sûr dédiée à la Vierge de Guadalupe, sainte patronne du Mexique, des cactus qui poussaient à flanc de falaise, la forme d'une tête de pirate dans la roche, une falaise symbolique pour les habitants du Chiapas, devant laquelle les passagers de notre embarcation faisaient la queue pour se mettre à l'avant du bateau et se faire photographier, ainsi qu'une curieuse formation naturelle due à l'écoulement des pluie. En coulant d'une falaise, l'eau a créé des sortes de «voûtes» de végétation qui en ont créé d'autres plus bas et ainsi de suite. De loin, cela ressemble à un grand sapin. Nous avons poursuivi jusqu'au barrage, qui ne fascine guère vu sous cet angle. En revanche, de l'autre côté, il doit être immense.

Au retour, le bateau est revenu à l'embarcadère quasiment sans s'arrêter et je me suis endormi. Au total, la balade dans le canyon aura duré près de deux heures. Une voiture de l'agence nous a ramenés à l'agence et nous avons demandé à faire garder nos bagages encore un petit moment pour pouvoir aller manger. Je voulais emmener mes deux nouvelles camarades de voyage manger dans un restaurant que m'avait recommandé Karl, mais l'une d'elle a pris peur en voyant à l'entrée «menu touristique». Moi, je n'avais pas assez d'argent sur moi pour manger à ces prix, donc nous sommes rentrés à l'agence, j'ai pris des sous dans mon sac à dos et nous sommes allés nous renseigner pour manger dans un resto plus authentique. Adeline a demandé à un gars de l'agence où on pouvait manger avec les Mexicains et c'est justement au restaurant de Karl qu'il nous a dit d'aller. Quand nous lui avons expliqué que nous en venions, il nous a emmenés à autre restaurant qui se trouvait tout près, où nous avons mangé en discutant dans un petit jardin tranquille mais où il faisait très chaud. L'une est kiné et l'autre institutrice et elles viennent de Marseille. Elles voyagent essentiellement en «couch surfing» et attendaient justement des nouvelles d'un contact à Tuxtla ou San Cristobal.

Sans nouvelles de sa part, elles m'ont suivi pour aller à San Cristóbal de las Casas. Ce n'est pas très loin de Chiapa de Corzo, mais aucun transport direct ne s'y rend. Il nous a fallu prendre un des minibus qui retournent à Tuxtla Guttiérez, descendre au bord de la route dans un lieu-dit dénommé Santa Fe, traverser la route par le pont jaune et reprendre une navette venant de Tuxtla. On n'a pas attendu longtemps la navette mais celle-ci était pleine et je suis resté debout dans l'allée centrale pendant toute la durée du trajet, c'est-à-dire un peu moins d'une heure. La route était bonne, heureusement, mais il fallait bien s'accrocher. À mesure que l'on montait ligne droite, on voyait de magnifiques paysages s'étaler au loin. Un Mexicain très bien élevé a proposé son siège aux filles qui m'accompagnaient et, bien qu'elles aient refusé poliment à plusieurs reprises, il a insisté jusqu'à ce qu'une d'elle accepte. S'en est suivie une conversation sur la France, le Mexique et des échanges d'information sur San Cristóbal et les environs.

En descendant du bus, on a tout de suite senti qu'on avait pris de l'altitude. On avait perdu quelques degrés, mais il faisait encore bon. En revanche, dès que le soleil s'est couché, une ou deux heures plus tard, il fallait absolument être en pantalon et en pull. J'ai quitté Pauline et Adeline quelques pâtés de maison après être descendus du bus, car elles cherchaient un cybercafé et moi non. Nous n'avons pas échangé de contacts (je ne voulais pas m'imposer) et nous nous somme dit que nous nous recroiserions peut-être ici ou là. Après tout, ce n'est pas impossible. J'ai marché jusqu'au centre-ville avec mon attirail et je me suis dirigé vers un hôtel recommandé par le Routard, qui m'a redirigé vers un hôtel un peu moins cher mais de très bonne qualité tenu par le même propriétaire. J'étais très fatigué et j'aurais volontiers fait une sieste mais je me suis contenté de prendre une douche pour ressortir aussitôt après – non sans avoir déposé mon linge sale à la réception de l'hôtel pour le faire laver pour le lendemain soir – afin de voir un peu San Cristóbal avant la tombée de la nuit car ce que j'en avais vu en venant m'avait enchanté.

Le ciel était gris mais le soleil bas éclairait bien les façades colorées de la ville, ce qui était particulièrement beau. Mais la ville est de toute façon très pittoresque, tant par son architecture coloniale de maisons basses à un niveau que par les gens qui la fréquentent – habitants, touristes, dont un grand nombre de routards un peu marginaux, et autochtones descendus des villages de montagne pour vendre, vêtus de leurs habits traditionnels très colorés, des produits artisanaux aux touristes. La ville a énormément de charme. Elle fait penser un peu à Oaxaca, mais en plus provinciale et plus détendue. Les rues grouillent de monde et on pourrait presque déplorer le fait qu'il y a trop de touristes. J'ai marché ainsi jusqu'à la tombée de la nuit, puis je suis retourné à l'hôtel un moment me délasser. Peu après, je suis sorti manger dans un boui-boui recommandé par le Routard. Je me suis laissé avoir par ma faim et j'ai commandé un énorme plat de viandes mélangées à manger dans des tacos. Je n'ai pas pu finir, c'était trop énorme, mais c'était très bon.

Après manger, je me suis baladé un peu. Les rues sont animées très tard, dans quasiment tous les bars de l'Andador - la principale rue piétonne de la ville - des groupes jouent de la musique et on croise dans les rues un nombre incalculable de gens qui se baladent la guitare sur le dos. San Cristóbal est vraiment festive. Je voulais raconter ma journée une fois rentré à l'hôtel mais mon antivirus a décidé de faire une mise à jour qui a pris des plombes et qui m'a empêché de travailler sur l'ordinateur. Je me suis endormi sans avoir pu accomplir mon devoir rédactionnel, et ce, malgré des douleurs dans le cou dues à la mauvaise nuit de bus et au fait que mon sac s'est considérablement alourdi depuis que j'ai visité un atelier de tissage et une fabrique de mezcal, et malgré le boucan provenant du bar à côté, qui envoie des décibels de musique boum boum, suffisamment pour en faire profiter tout le quartier, y compris les résidents de l'hôtel.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Tres belle ecriture, c est parfait. Joli travail a coucher sur le papier pour en faire profiter petits et grands!!!!

Jean-Michel a dit…

Merci, commentateur (ou -trice) anonyme. Mais qui es-tu?

Anonyme a dit…

ça alors, tomber sur des marseillaises au fin fond du mexique ! sont partout ceux là ! signé : un marseillais de tes amis qui souhaite rester anonyme !