samedi 23 février 2013

Tapis, mezcal, gros arbre, eau pétrifiée

13e jour – Oaxaca et environs
Jeudi 21 février 2013

Une nuit dans un vrai lit avec les boules Quiès (surtout quand il y a des Français un peu relous qui parlent super fort de l'autre côté de la courette), y'a que ça de vrai! Pas trop le temps d'en profiter, car le départ pour l'excursion était fixé à 10 h 00 et il fallait que je libère la chambre et que je prépare mes affaires pour affronter le bus du soir. En guise de petit déjeuner, j'ai pris au restaurant de l'hôtel des quesadillas, c'est-à-dire des galettes juste fourrées au fromage d'Oaxaca (qu'on pourrait comparer un peu à de la mozzarella), que j'ai beaucoup appréciées.

C'est dommage, la journée avait bien commencé. Le serveur a mis un peu de temps à me rendre ma monnaie et j'ai commencé à être à la bourre. Je suis vite retourné dans ma chambre finir de me préparer, puis j'ai rendu la clé et réservé un consigne pour garder mes affaires, puis j'ai dû reprendre la clé pour récupérer une serviette que j'avais oubliée dans la chambre. J'ai rappelé à la réceptionniste que je n'avais pas réglé ma bière de la veille au soir (encore une question de petite monnaie) et elle m'a dit que j'en devais deux (la deuxième, soit dit en passant, valant moins cher), or j'étais sûr de n'avoir pris qu'une bière. Bon, elle m'a cru sur parole, mais elle a encore dû aller chercher du change je ne sais où pour me rendre la monnaie sur un petit billet. L'heure tournait et moi je trépignais.

L'agence de voyages où j'avais réservé n'était pas loin mais j'y suis allé en me pressant un peu: ce n'est parce que les Mexicains sont systématiquement en retard (dixit Maryline) que moi je dois l'être. Le voyagiste était là, il m'attendait avec un accompagnateur. L'accompagnateur m'a accompagné à une autre agence de voyages, un pâté de maisons (hmm, pâté) plus loin, et m'a confié à un guide. Là, on a attendu une dizaine de minutes. Il commençait à faire chaud, surtout au soleil, et les façades étaient joliment illuminées. J'ai sorti mon appareil photo et là, catastrophe! Ledit appareil photo refuse de remplir la fonction pour laquelle il a été conçu, en l'occurrence, prendre les photos. «Rechargez la batterie», qu'il me dit. Ah oui mais sans chargeur et en train d'attendre un minibus, moi, je ne peux pas recharger la batterie. Ô rage, ô désespoir, ô technologie ennemie. Bien sûr, c'est de ma faute, j'aurais dû charger mon appareil photo pendant la nuit mais j'en veux quand même à la machine, qui, pendant des jours m'indiquait que la batterie était pleine et, deux jours plus tard, me prive de clichés. J'allais passer toute une journée à visiter des sites intéressants et j'allais revenir sans preuves.

J'ai rangé mon appareil et j'ai étudié dans ma tête les options qui s'offraient à moi: rentrer à l'hôtel, demander la clé du casier, sortir le chargeur, charger pendant deux minutes OU prendre le chargeur avec moi et espérer que le minibus soit équipé d'une prise. Trop d'inconnues et logistiquement compliqué. Et alors, j'ai pensé à autre chose: mon téléphone. C'est une bonne chose que les téléphones ne servent plus seulement à téléphoner. La qualité des photos n'est pas géniale et il n'est pas très réactif, mais au moins, la batterie est pleine et ça dépannera bien. Je pensais avoir une mémoire limitée pour les photos mais la résolution étant tellement mauvaise, j'ai pu en prendre près de 70 (soixante-dix ou septante) tout au long de la journée.

Ainsi, j'étais là avec mon appareil photo sans utilité dans l'immédiat et mon téléphone qui allait me sauver la journée photographique à attendre le minivan. À un moment, le guide auquel m'avait confié l'accompagnateur auquel m'avait confié le vendeur de l'agence de voyages m'a pressé de le suivre. Nous sommes montés dans une grosse voiture américaine et je pensais que soit j'étais le seul bénéficiaire de l'excursion, ce qui aurait été un peu triste, soit j'étais en train d'être pris en otage, ce qui aurait été pour le moins fâcheux. En fait, nous allions rejoindre le minibus dans un autre quartier de la ville. Pendant ce temps, mon guide et son chauffeur semblaient avoir une discussion animée sur les fautes courantes à ne pas faire en espagnol et l'accentuation des mots. Le mot «atmósfera», notamment, faisait débat, parce que la plupart des gens disent «atmosphera». Ça m'a fait rire, ça m'a rappelé mes propres discussions avec mon entourage.

Notre voiture a tourné en ville pendant cinq minutes, puis après quelques coups de fil, mon guide est sorti de la voiture en me disant que le chauffeur allait m'emmener au minibus. Les embouteillages étaient nombreux et le chauffeur s'est un peu énervé à faire des demi-tours et à prendre des petites ruelles, avant de me confier, enfin – après être passé entre les mains d'un voyagiste, d'un accompagnateur, d'un guide et d'un chauffeur – à guide-chauffeur du minibus pour la journée, Moises. À l'excursion participaient plusieurs Mexicains d'autres régions, mais aussi un Américain de Phoenix et un couple canadien d'origine allemande et leur amie souffrant de la même condition, tous assez âgés. Ce n'est pas là que j'allais rencontrer de jolies étudiantes danoises mais le petit groupe était néanmoins sympathique.

Juste à la sortie d'Oaxaca, nous nous sommes arrêtés dans la petite ville de Tule, dont la particularité est d'abriter un très vieil arbre – un type de cyprès – de plus de 14 mètres de diamètre. Il serait le plus vieux de son espèce, avec un âge estimé à plus de 2 000 ans. Ce n'est rien comparé à certains séquoias en Californie ou à des oliviers ou des cèdres au Proche-Orient qui auraient jusqu'à 6 000 ans, mais quand on imagine tout ce que cet arbre a pu voir au cours de sa vie, je trouve que c'est impressionnant. Nous avons eu un quart d'heure pour faire le tour de l'arbre (ça prend en réalité bien moins de temps) et, évidemment, laisser un peu d'argent dans les nombreuses boutiques aux alentours.

Ensuite, nous avons emprunté la route panaméricaine – qui part de l'Alaska pour aller tout au sud du continent américain, mais on ne voit aucun panneau indiquant «Alaska» ou «Patagonie», c'est dommage, et d'ailleurs, malgré son nom et son prestige, elle ne ressemble par endroit qu'à un chemin de campagne goudronné – pour nous rendre à la deuxième étape, un atelier de tissage de la laine tenu par une famille. À la base, je voulais que mon excursion de la journée se limite à deux sites: l'arbre et Hieve el Agua, mais je dois dire que j'ai été subjugué par les explications et le savoir-faire du tisserand, un Zapotèque dont le métier se transmet de père en fils. Il nous a expliqué comment préparer la laine et comment la colorer avec des colorants naturels. J'étais comme un gosse en le voyant transformer la cochenille, un parasite blanc du cactus, en rouge simplement en l'écrasant puis en violet en y ajoutant un peu de citron. Plus étonnant encore, les fruits de la grenade, rouge, donc, mélangés à du calcaire créent un colorant vert. Puis il nous a fait une démonstration du métier à tisser. Quelle maîtrise, quelle patience, quel effort physique! Bien entendu, la visite s'est terminée par la salle d'exposition, où l'excursionniste pouvait donner libre cours à ses envies de se libérer de ce qu'il y avait dans son porte-monnaie. Les artisans qui utilisent les colorants naturels sont peu nombreux et j'ai, disons, voulu encourager cette pratique.

Après l'atelier de tissage, il était l'heure de l'apéritif. Ça tombait bien, l'étape suivante, tout près de là, était une fabrique artisanale de mezcal, la gnôle locale. Même genre que la tequila. On a vu les hommes à l’œuvre en train de distiller l'agave et on a eu droit à la dégustation de quatre ou cinq sortes de produits. Le premier était un alcool qui titrait à 60°, puis on est descendu un peu, à 45°, en augmentant l'âge du produit. Tous étaient très bons et, là-aussi, l'alcool aidant peut être de surcroît, j'ai cédé pour un mezcal de qualité. La petite dégustation de mezcal, ça aide à se faire des amis. J'ai pu discuter avec mes camarades de route et notamment avec l'une des Canadiennes-Allemandes, qui parlait très bien le français. Très gentille, elle avait l'air de se plaindre de devoir, pour ne pas voyager seule, supporter son couple d'amis qui étaient un peu moins roots qu'elle, semblerait-il.

Ensuite, nous avons repris la panaméricaine et là nous étions bien en milieu rural. Les paysages sont très beaux dans cette région sèche, on voit des cactus sauvages, des cactus d'élevage et la montagne aux tons d'automne au bout de la plaine bucolique. Nous nous sommes rendus sur le site préhispanique de Mitla. Tout petit, il est néanmoins intéressant pour ses bas-reliefs très bien conservés. De plus, ce site, contrairement à beaucoup d'autres, n'a jamais été abandonné et les indigènes vivent autour du site préservé et ont construit leurs maisons au milieu d'autres ruines. Une belle église, édifiée avec les pierres du site original, se trouve juste à côté et les habitants du village tiennent de nombreux étals de produits artisanaux (là encore, mon porte-monnaie a un peu tiré la gueule). Le tout est très pittoresque et fait de Mitla un site intéressant à découvrir.

Puis vint l'heure de manger. Sans doute acoquiné avec le patron du restaurant, le chauffeur nous a emmené dans une grande cafétéria construite quasiment au milieu de nulle part, destiné exclusivement à l'accueil de groupes de touristes comme nous. D'ailleurs, j'ai recroisé plusieurs personnes que j'avais déjà vues sur des sites plus tôt dans la journée. L'attraction phare du restaurant, c'est son buffet à volonté. Je n'avais pas très faim, mais le buffet n'était pas cher et il permettait de prendre des spécialités locales qu'on pouvait choisir de visu: sauterelles grillées, mole de toutes les couleurs (j'ai apprécié le rouge), viandes grillées. J'ai mangé, sans abus, mais avec des sauterelles, en compagnie de mes nouveaux amis anglophones. L'Américain, qui devait avoir au moins 70 ans, un seul poumon et un appareil auditif, est un grand voyageur; il va presque partout seul et il est même allé en Corée du Nord. Les Canadiens, eux, ont aussi pas mal voyagé. Justement, ils étaient déjà allés à Pamukkale, en Turquie, et pensaient donc qu'ils ne verraient rien de neuf en poussant l'excursion jusqu'à Hierve el Agua. C'est donc là que nous nous sommes quittés mais d'autres touristes sont montés dans notre minibus.

La route, sinueuse, cahoteuse et spectaculaire, vers Hierve el Agua a duré 45 minutes. J'étais du mauvais côté du bus et je ne pouvais pas prendre en photo les superbes panoramas qui s'offraient à nous depuis la route (et il faisait trop sombre en redescendant). Mais sur le site de Hierve el Agua, j'ai eu tout le temps d'en faire d'autres. Si j'ai bien compris, «hierve el agua» signifie quelque chose comme «l'eau qui bout» (boue? bouille? boint? J'ai comme un doute) mais l'eau qui sort des sources est froide. Le site doit probablement son nom au bouillonnement que fait l'eau en sortant de terre. En fait, il s'agit d'eau sulfureuse et calcaire qui a formé de nombreuses petites piscines naturelles et, surtout, des chutes d'eau pétrifiées, qu'on voit un peu plus loin. On m'avait dit qu'on pouvait se baigner dans la plus grande des piscines et c'est pourquoi j'ai pris mon matériel de baignade mais j'ai été le seul à tenter l'expérience. Personne d'autre n'avait même pensé à prendre son maillot de bain. L'eau était un peu fraîche, mais bonne et, seul dans mon bain, je me sentais comme un millionnaire dans ma piscine panoramique. Je me suis séché en allant explorer les autres formations mais c'est dommage qu'on n'aie pas eu plus de temps pour profiter du coin, notamment pour descendre voir les cascades pétrifiées (il y a un chemin) ou aller faire des balades dans la montagne.

Sur le chemin du retour, qui a duré un peu plus d'une heure, j'ai discuté un petit peu avec une jeune étudiante argentine qui parlait français et qui voyageait avec sa cousine qui vit au Mexique. Le minibus m'a déposé devant mon hôtel, je me suis changé, j'ai refait mon sac avec mes nouvelles acquisitions et je me suis installé à une table du restaurant déserté pour commencer le récit de ma journée en sirotant une Corona. Puis je suis allé à pied – une promenade d'un quart d'heure environ – jusqu'à la gare routière, où on embarquait déjà pour Tuxtla Gutiérrez. Le terminal de première classe est vraiment nickel mais ce qu'il manque, c'est un panneau d'affichage qui indique les portes et heures d'embarquement, car les annonces ne sont faites qu'en espagnol et il faut quand même comprendre pas mal pour savoir ce qu'il faut faire.

Le bus n'est pas à la hauteur de mes espérances. Il est beaucoup mieux que le dernier que j'ai pris mais j'envisageais plus de confort. D'ailleurs, une grille vient de se décrocher du plafonnier au milieu du couloir. Et puis il est bourré à craquer. Presque jusqu'au moment du départ, j'ai cru que j'allais avoir les deux sièges pour moi tout seul mais le dernier passager à monter dans le bus est venu s'installer à côté de moi. En plus, j'ai pas de chance, je suis tombé sur le plus lourd de tous. Il joue à un jeu de foot qui produit des bruits stridents de sifflet à tout bout de champ, il commente ses actions ratées et manquées (plus souvent l'une que l'autre) et il a le tic de se curer bruyamment les dents. J'espère que les bouchons d'oreille que j'espère avoir pris avec moi m'aideront à atténuer tout ça.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Voilà un billet joliment rédigé que j'ai pris beaucoup de plaisir à lire. Merci de te donner cette peine !
Aniouta

Jean-Michel a dit…

Merci Aniouta, ton commentaire me fait très plaisir :)